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Telod
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Telod
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Telod
Messages : 213

Jour d'éveil : Jour 1
Race : Racine
Métier : Sculpteur (3)
Groupe : Terre Rouge
Fiche de présentation :
Telod Empty
Dim 27 Déc 2015 - 1:35


Prénom : Telod
Nom/surnom : Aucun

Éveil : Premier jour
Sexe : Masculin

Race : Racine
Métier : Sculpteur - Apprenti : travailleur du bois.
Groupe : Terre Rouge
Croyance : Sans avis. Il n'y a jamais pensé.

Magie : Il a des prédispositions au silence bien qu'il n'en soit pas vraiment conscient.

Capacités physiques : Telod est un homme robuste mais pas extrêmement fort comparé à d'autres personnes de sa race. Son mental d'acier lui permet de supporter plus d'intempéries que les autres, ainsi que de mieux résister à la faim et au manque de sommeil. Cela lui donne également une endurance à toute épreuve.
Cependant la force brute peut parfois lui faire défaut, pour ce qui est de frapper fort, de courir vite ou de soulever une charge très importante.

Talents divers : Telod a un charisme naturel assez impressionnant, ce qui le rend parfois très imposant, facilitant sa capacité à se faire entendre. Mis à part cela, il est capable de rester plusieurs jours sans dormir, sans en souffrir profondément - Au passage Telod est insomniaque.

Équipement :  Une peau d'ours sombre lavée en guise de vêtement, formant une sorte de robe. Comme arme il possède une lance en bois sculpté et à l'embout en pierre taillée, ainsi qu'un petit couteau de pierre dont il se sert comme outil.

Apparence physique et charisme :

Malgré sa race, Telod a des cheveux et des yeux plutôt clairs. Son air épuisé dû à ses insomnies suggère une forme de faiblesse physique. Il n'est pas non plus très musclé ni grand, en réalité il ne ressemble pas beaucoup à un Racine dans son apparence première. Cela fait contraste avec ce qu'il dégage dans son attitude, qui est presque la définition exagérée d'un Racine. On sent son pragmatisme, sa pensée claire, terre à terre, sortir de ses yeux peu importe l'instant. Sa bouche ne semble pas être dotée de la capacité de sourire, sauf de manière sarcastique et énervante. N'importe qui ayant échangé quelques mots avec Telod aura compris sa race tant son comportement en est la représentation caricaturale. Sa présence silencieuse dégage quelque chose de brut, de fort, et parfois d'insupportable. Il fait partie de ces gens qui prennent énormément plus de place que leur corps. Sans avoir besoin de parler, il est capable de briser un dialogue ou un rire, comme si sa mauvaise humeur pouvait contaminer l'air ambiant. L'aura qu'il dégage est exténuante dans la vie de tous les jours.

En revanche, lorsque le monde se couvre d'ombre, que la mort approche, que le désespoir guette, et que la peur prend la gorge, un sourire monte aux lèvres de ceux qui se souviennent d'avoir Telod dans leur camp. Ils auront beau s'être plaint à son sujet, l'avoir traité de tous les noms, l'avoir considéré comme l'être le plus insupportable de l'histoire, lorsque les ennemis viennent, ils sont heureux de son caractère implacable. Peu importe la situation, Telod pèse de tout son poids.


Caractère et personnalité :

Telod est colérique. Non pas le type de colère qui le fait hurler sur tout ce qui bouge pour des motifs ridicules, mais celle qui rend silencieux, qui reste, constante, profonde, et qui épuise. Ce n'est pas une personne à l'esprit étroit qui sera écumante de rage à cause d'une maladresse de l'un de ses compagnons, mais plutôt une personne qui regorge de haine sans avoir besoin de raison, comme si cela faisait partie de sa chair, et qui ne prend pas la peine de l'exprimer autrement que par son regard perçant et ses propos tranchants peu importe la situation. Qu'un de ses compagnons fasse une maladresse ou un exploit Telod aura le même comportement, qui consistera la plupart du temps en l'ignorer, à le fixer d'un air dépité, ou alors à l'insulter sans trop de méchanceté s'il a la miraculeuse envie de parler.

Parce que oui, ce sculpteur en herbe parle incroyablement peu. A tel point que c'en est gênant pour son entourage, en particulier pour qui tente de discuter avec lui. L'optimiste qui essaye d'entamer un bout de conversation avec Telod se retrouve rapidement avec l'impression de faire un monologue destiné aux plantes et aux pierres qui l'entourent, qui semblent être une oreille bien plus attentive. S'en suit généralement, lorsque le discours s'est enfin terminé et que l'optimiste se trouve démuni, sans aucun recours, réduit à chercher de quoi il pourrait parler pour attirer l'attention de Telod, songeant même à tenter un mensonge colossal pour voir sa réaction, laissant un blanc, un moment de vide et de silence, qu'un caverneux "Tu peux fermer ta gueule ?" s'échappe des lèvres du Racine.

Il n'a pas besoin de mimer l'homme bon pour exister ni pour se sentir fier. Telod ne mime jamais rien. Il sait ce qu'il est, sans avoir besoin d'y penser, et ne veut pas passer pour ce qu'il n'est pas. Il est stable, fiable, pragmatique, et n'hésite presque jamais. Une sorte de certitude émane de lui en chaque instant, le rendant fort, une certitude qui dicte sa manière d'agir, analysant la situation en un instant, il sait ce qu'il faut qu'il fasse pour aller dans le sens de sa vision de la justice et du bon, et met tout en œuvre pour le faire.
"Je fais ce que j'ai à faire." est d'ailleurs une de ses phrases fétiches. Comme si le choix n'existait jamais, que le devoir était la seule option qui se présentait à lui.
Il mettra sa vie en jeu à chaque fois que cela sera nécessaire, et se sacrifiera sans hésiter.

Bien qu'il ne semble porter aucun amour pour ses compagnons dans son comportement de la vie de tous les jours, il ne les laissera jamais tomber. Tout homme qui ne lui est pas néfaste et qui ne s'est pas comporté comme le pire des lâches et des "salopards" (comme il aime à dire), est systématiquement placé, dans son crâne, dans la case des gens à protéger. Même s'il ne le connait presque pas. Il a tendance à estimer davantage la vie des autres que la sienne, et préfère, philosophiquement, faire confiance à se méfier.

Son corps a des limites marquées, mais son esprit, lui, ne semble jamais pouvoir flancher. Face à une situation désespérée, il a tendance à s'énerver plutôt qu'à douter de lui. Sa rage lui donnant la volonté pour surpasser ses peurs.

Finalement, malgré ce que sa colère pourrait laisser penser, Telod est quelqu'un d'assez tolérant. Il sait par instinct les souffrances par lesquelles un homme peut passer, et garde toujours un respect pour la personne au-delà de ses erreurs.  Il se sent en mesure de juger un acte mais pas un homme.
Aussi une des particularités de ce Racine qui le rend parfois extrémiste c'est l'importance qu'il porte aux morts et au respect de leur mémoire, même s'ils ont été ses ennemis.


Histoire :

Spoiler:

J'ai jamais vraiment eu le temps pour ce genre de conneries, me dis-je alors, bien que le rapport avec la situation restait à étudier. En fait la situation elle-même restait à étudier. Je n'avais aucune idée de là où j'étais, ni de l'environnement qui m'entourait, ni d'exactement l'acte que je pouvais être en train d'accomplir si j'en accomplissais un. Mais, de toute évidence, et c'était là la certitude qui régnait sur le début de conscience qui naissait en moi, je n'avais pas que ça à faire.

Un temps passa. Ma langue racla mon palais, mes molaires se serrèrent. L'air coulait dans mes narines en un grondement lent.
J'ouvris les yeux.
L'ombre, partout. Ténèbres stagnants devant moi. De la terre remplissait ma bouche. Je toussai, trois fois. Tout cela tomba au sol, avec de la bave. Mes bras se trouvaient immobiles, paralysés, tendus. Je tentai de les bouger, mais on m'en empêchait.
Grognement.
Tournant le visage, je constatai une forme contre ma peau. Ça ressemblait à une fine racine. Alors je forçai sur mon bras, grognant encore, de plus en plus fort. Quelque chose craqua, s'écoula, puis se brisa. Mon bras droit m'emporta légèrement vers l'avant, extirpé de ses chaînes.
A tâtons et aidé de ma vue approximative, je posais ma main droite libre sur le bois, plus épais, qui retenait mon bras gauche. D'un mouvement brutal j'arrachai la racine.
Puis je dégageai mes deux pieds.

Voilà. Je pouvais bouger.

En regardant un peu mieux je devinais être dans une cavité souterraine. Des murs qui semblaient être de terre et de racines m'entouraient. Un seul passage, vers la droite. J'y avançai.
Cela dura un temps irréel. Mes pas se succédaient. Mon esprit vide. Un poids en moi. Ces instants qui sont si étranges qu'ils vous font vous souvenir de la singularité des vies.
Peut-être immédiatement, ou alors des jours plus tard, j'atteignais, en haut d'une petite montée, la lumière.

Bruit de pluie. Des arbres. Gouttes chutant depuis les feuilles hautes. Et l'univers gris. Je m'arrêtais, perdu, nu, couvert de terre, le regard posé sur les branches devant moi. Aucun mouvement n'agitait le vert feuillage. Il faisait chaud, l'air oppressait.
Mon corps ne bougeait plus. De l'eau coulait sur ma peau. Quelque chose m'échappait. Je n'avais rien du tout en tête.
Un râle rauque sortit de ma bouche.

- Euh... Bon. fis-je sans articuler.

Des troncs s'étendaient à ma vue, partout, des troncs. Une forêt sombre. Aucun signe de vie à part la mienne. Un moment s'écoula.

- Faut... Peut-être, qu'on y aille ? continuai-je, alors que j'étais seul.

Une goutte frappa mon front, me réveillant. Me rendant compte à quel point je venais d'être déstabilisé, je secouai ma tête, clignai des yeux, avant d'affirmer :

- Oui. Aller, du nerf, j'y vais.

Et je me mis à marcher, tout droit, avec détermination.
En réalité, si j'avais été tout à fait franc avec moi-même, j'aurais reconnu n'avoir aucune idée de là où j'allais, et donc de ce que mon "j'y vais" pouvait bien désigner.


Résultat de ma recherche en cette après-midi pluvieuse : rien. Des arbres, des arbres et encore des arbres, j'errais , ne trouvant rien d'autre que ce que j'avais déjà vu. Je réalisais avoir dépensé toutes mes forces dans le vide, et cette idée m'épuisait encore davantage. Cette forêt, que j'avais supposé petite sans raison, se révélait être colossale. Tel le pire des crétins je m'y étais perdu, n'ayant aucune idée de si j'avais effectivement avancé droit ou tourné en rond.
Comme si cela ne suffisait pas, j'avais faim et surtout soif, et le jour diminuait. Des flaques se formaient au sol, je me mettais à avoir pour projet de plonger ma tête dedans pour satisfaire ma langue sèche.  Mais ma raison dominait : je trouverai bien un endroit où l'eau sera plus saine, si une maladie m'affectait dans cette situation je ne pourrais m'en relever. Il me fallait faire un repérage méthodique des lieux et trouver une source d'eau potable.

Je m'arrêtai subitement.

Quelque chose me fixait, là-bas, derrière ce tronc. Une silhouette noire. Mon regard tourna vers la droite, une autre. A gauche, deux. Je me baissai lentement, ma main se ferma sur une pierre au sol, puis je me relevai, les yeux décidés et perçants, cherchant à retrouver les silhouettes. Mon poing écrasait la roche, prêt à m'en servir comme d'une arme. Mais il n'y avait plus rien. Je ne les voyais plus. Et j'étais incapable de dire quand elles s'étaient évaporées.

Je restais quelques instants ainsi, patientant, m'attendant à une attaque, prêt à riposter. Puis, lorsque je jugeais qu'elles étaient parties, je repris ma route. La pierre demeurant dans ma paume.


La nuit finit par arriver. J'avais trouvé l'entrée d'une grotte, semblable à celle où j'avais ouvert les yeux, pour me reposer. Je m'asseyais à l'entrée, contre le mur, mes yeux scrutant l'en-dehors. Mon ventre me faisait souffrir, ma gorge et mes muscles aussi. J'étais exténué. Ma voix parlait toute seule, allant ridiculement dans l'aigu :

- Vous connaissez l'histoire du débile de la forêt, celui qui est mort en deux jours la quéquette à l'air ? Oh non raconte nous !

Je soupirais. Puis je reprenais mon ton caverneux :

- Tu parles d'une merde.

De ma pierre je grattais un bout de bois que j'avais trouvé au sol pour me calmer et m'occuper. Par la suite il sera aisé de constater que me voir parler tout seul tenait du miracle, puisqu'en temps habituel  je ne prononce des mots que sous une menace de mort. Ainsi on pouvait deviner que j'étais déstabilisé par la situation, je perdais confiance en moi, je me demandais comment j'allais faire pour m'en sortir.

J'étais plongé dans l'ombre.

Un temps interminable, pesant, oppressant, s'écoulait. Mes paupières, bien que dures à porter, demeuraient ouvertes.

A un moment j'arrêtai de tenter de sculpter le petit bâton. Je le montai à mon visage, le considérant avec indifférence, avant de le casser en deux, puis en quatre, puis en huit, mes dents crissant les unes contre les autres, mon souffle puissant. Je jetai les brindilles au sol, avant de me relever soudainement, grognant :

- Je ne dormirai pas de toute façon.

Et mes yeux fixèrent la forêt alors que je m'y engouffrais à nouveau.


Mes pas se succédaient. Mon souffle restait constant. Mon esprit vide.
Je n'écoutais aucun de mes besoins, ignorant la douleur et la fatigue. Tout en moi ne se concentrait que sur l'action d'aller droit. Je ne contournais plus, je n'évitais plus, je franchissais les obstacles sans changer de trajectoire. Traversant les buissons, escaladant les racines et les rochers, passant sous les branches basses. La direction que j'avais arbitrairement choisie, je devais la garder. Là était ma seule manière de tenter l'efficacité.
L'accomplissement ne s'obtient ni par miracle ni par chance mais par la persévérance.

Mon dos fut bientôt vouté, ma vue trouble, ma respiration rauque. Aucune salive, la sensation de ma langue contre mon palais devenait rugueuse, désagréable. Parfois, en regardant mes doigts, je les voyais trembler. Boire. Boire. J'entendais, je comprenais, je ressentais la sonorité de la soif vibrer dans chaque fibre de mon corps. Un jour entier à bouger dans tous les sens, à transpirer, par une température insupportable, sans boire la moindre goutte, il semblerait que ce soit ma limite.

La pluie continuait de marteler les branches. Les nuages noirs.

Malgré cela je pus deviner à la lumière changeante que le soleil se levait de nouveau. La visibilité s'améliorait, et les troncs redevenaient les seuls barrages à ma vue.  

Je me mettais à pousser une branche qui se trouvait devant moi lorsque je m'aperçu d'un puits de lumière au loin, à gauche. Comme si la forêt s'arrêtait là.
Aussitôt je m'y dirigeais, mon nez humant une odeur particulière. Les yeux éclairés, les jambes retrouvant leur vigueur, mon souffle s'accélérant. Je me mis à marcher rapidement, puis à trottiner, avant de courir.  J'étais lancé, mon énergie sortait du néant, je déployais toutes mes forces. Mes pieds nus frappaient le sol avec force, lançant une décharge dans tout mon corps à chaque coup.

Je dépassai le dernier tronc, laissant la forêt derrière moi. La lumière blanche m'embrassait.
Je m'arrêtais. Mes paupières demeuraient grandes ouvertes.

Face à moi, sur tout le paysage jusqu'à l'horizon, un lac colossal s'étendait.

Sauvé. Je me sentais sauvé, béni. Je restais ainsi, stupéfait, ma bouche ne voulant pas se fermer, laissant passer beaucoup d'air à cause de la course.
Au bout d'un moment, j'osais m'approcher.
Mes mains plongeaient dans l'onde, en sortant un peu pour l'apporter à mes lèvres. Je constatais qu'elle était douce, comme je l'avais supposé, heureux.  Je bus sans me priver, déglutissant sans m'arrêter.
Quand ce fut fait, je soupirais de soulagement, restant assis sur le bord du lac, ignorant la pluie, fermant les yeux. Tout retrouvait son calme.

Tout... excepté un bruit lointain.
Je rouvris les paupières pour voir de quoi il s'agissait.
Au loin, à la surface de l'eau, quelque chose bougeait. Projetant des éclaboussures, se débattant dans l'écume, je pensais avoir à faire à une proie tentant d'échapper à son prédateur.
M'y désintéressant, j'allais retourner sur mes pas pour trouver à manger, lorsque je vis, au milieu du remous de l'eau, un bras humain, s'élevant vers le ciel.
Aussitôt je compris la situation, et, sans réfléchir, je plongeai dans le lac. La fraicheur du liquide envahit mon corps, un bruit sourd, grave, emplit mes oreilles. Je vis l'ombre des profondeurs, les longues algues mouvantes. Puis mon regard revint à la surface, je respirais. Mes bras bougeaient de manière relativement désordonnée mais je parvenais rapidement à nager sans trop de difficulté, fixant mon objectif.
La personne qui semblait se noyer se débattait de moins en moins, comme si elle faiblissait, mes yeux restaient rivés vers sa position. Je nageais de plus en plus vite, ne perdant pas mon sang froid, une rage lucide montant en moi pour me donner de l'énergie. Je ne pensais à rien.
Lorsque j'arrivai non loin de l'endroit prévu, la personne s'était déjà enfoncée sous la surface. Je pris une large inspiration, et d'un mouvement brutal je piquai dans l'eau. Mes yeux scrutaient. Rien. Rien que de la pénombre. Je remontai, respirant quelques instants, puis je plongeai à nouveau.
Alors je la vis. Une toute petite femme, nue, frêle, la peau incroyablement blanche, comme ses cheveux, les yeux grands ouverts, tombant, aspirée par les abysses noirs.  

Effort. Manque d'air. Froid. Effort. Rage.

D'un mouvement large, je la ramenai sur le rivage. Le souffle court, j'étais épuisé.
Je la vis tousser plusieurs fois, agenouillée, la main empoignant la terre, le visage choqué. D'un coup violent, je lui claquais le dos, faisant sortir de ses lèvres les dernières gouttes d'eau.
Puis je m'allongeai sur le sol, reprenant ma respiration.
Un instant passa. Les yeux sur les gros nuages, la pluie qui s'intensifiait encore. Bruit du vent. A côté de moi, la rescapée ne bougeait pas d'un pouce, elle ne me regardait pas.

- Merci. finit-elle par susurrer d'une voix faible. Merci. Merci.

Puis sa voix se brisa, et elle commença à pleurer.

- J'ai eu tellement peur. Dit-elle, entre deux sanglots.

Je laissais passer, ne disant rien. Mon regard restant dirigé vers le ciel. Puis, lorsqu'elle reniflait un peu moins, je demandais d'un air désabusé :

- Qu'est-ce que tu foutais là-bas ?

Elle tourna son visage vers le mien. Avant de m'avouer, surprise elle-même :

- Je ne sais pas, en fait. Tout ce dont je me souviens c'est que... Je me suis réveillée là, en pleine nuit, au milieu de l'eau. Et puis je ne voyais pas de terre autour de moi. Cela m'a effrayée parce que... je trouve que ce lac n'est pas très rassurant, je ne savais pas ce qui pouvait me guetter dans les profondeurs.

Elle renifla encore, puis passa sa main sur son visage, grattant son œil, tout en poursuivant :

- Alors, sous la peur, je me suis mise à nager, nager, dans une direction totalement aléatoire. Je ne savais pas par où était le rivage. C'était interminable. La terreur me faisait nager comme une crétine, je dépensais trop d'énergie. Et je m'en rendais compte mais cela ne faisait qu'empirer la panique.

Elle déglutit, ses yeux encore rouges.

- Et puis. Bah. Ca a duré tellement longtemps que ça m'a avalé toutes mes forces, alors j'ai fini par couler. C'est là que vous êtes arrivé.

- T'aurais du faire un dernier effort en voyant le rivage.

- Mais je ne l'ai même pas vu ! J'étais dans mes pensées, dans ma panique et ma détresse, je pensais que j'allais mourir. Et puis on ne voit rien avec cette pluie.

- T'es un peu conne quand même.

Elle fit la grimace, fronça les sourcils et me jeta une poignée de terre dessus. Puis, le visage s'illuminant, elle me demanda, parlant vite, semblant oublier soudainement ce qu'il venait de se passer :

- Et vous ? Qu'est-ce que vous faisiez là ? Pourquoi vous passiez dans le coin ? Vous savez ce que c'est que cet endroit ? Vous connaissez un peu ? Vous vous souvenez de quelque chose ? Je suppose que vous êtes plus renseigné que moi, non ?

Mon visage restait impassible. Je ne la regardais toujours pas, observant le ciel.
Au bout d'un moment, je répondis par un bruit de bouche :

- Prrp.

Elle me fixait, le regard interrogateur, avant de tourner le visage vers le ciel pour essayer de voir ce que je voyais. Puis, ne trouvant visiblement aucune explication satisfaisante, ses yeux revinrent vers moi.

- Prrp ? finit-elle par répéter d'un air insatisfait en levant les bras.

Je me levai, soupirant, avant de me mettre à avancer vers la forêt.

- Mais attendez, vous voulez dire que vous n'avez pas de souvenir non plus ? Et puis où vous allez là ? Vous faites quoi ?

J'haussai les épaules.

- Je vais chercher de quoi manger.

- C'est vrai ? Mais, attendez ! Ne me laissez pas comme ça ! Je peux chercher avec vous, je peux me rendre utile !

Dit elle en trottinant tant bien que mal derrière moi, ses cheveux dégoulinants.

- J'ai peur moi, si je reste toute seule. Je vous aiderai promis, mais laissez moi rester avec vous, je ne veux pas à nouveau me retrouver paniquée, sans personne à mes côtés ! S'il vous plait. S'il vous plait !

- Mais tu fais ce que tu veux. dis-je.



En tentant de ne jamais nous éloigner du lac, revenant régulièrement vers la bordure pour le garder en vue, nous progressions dans la forêt. La jeune femme me suivait, plaignant souvent sa douleur aux pieds, le fait qu'elle avait froid, ainsi que le fait qu'elle ne voyait rien.
Effectivement, la pluie s'étant intensifiée, l'ombre ne nous laissait qu'un mince champ de vision, complexifiant encore grandement la recherche de nourriture.

- Vous ne voulez pas qu'on attende que la pluie s'arrête ?

- Tu peux attendre si tu veux.

- Mais, je ne veux pas être toute seule, je vous l'ai déjà dit. Aïe ! Saletés de ronces.

Les feuillages nous protégeaient relativement efficacement du débit d'eau. Néanmoins l'humidité semblait nous pénétrer jusqu'à la moelle, n'ayant pas pu être secs depuis l'épisode du lac. Je sifflais de colère, tentant de me focaliser sur ma tâche. Ma camarade continuait de parler.

- On peut toujours tenter de construire un abri, il faudra le faire de toute façon. Pendant qu'on le fera la pluie se calmera, et on pourra chercher plus efficacement. Vous ne pensez pas ?

Je scrutais le lointain. Quelque chose avait bougé, il m'avait semblé.

- Vous m'écoutez ?

Un éclair, illuminant les troncs. La femme sursauta. Grace à la lumière je pus voir un groupe d'individus étranges. Les mêmes silhouettes que celles qui m'avaient épiées la veille. Lorsque l'ombre revint, je ne les voyais plus. Je m'accroupis, saisissant un large bâton au sol, l'empoignant fermement.
Le ciel gronda .
Je me relevai. A côté de moi j'aperçus la jeune femme, recroquevillée contre le tronc d'un arbre, fixant le sol.

- J'aime pas les orages. dit-elle. Ca me fait peur.

Sans rien lui dire, je recommençais à avancer, me servant de mon bâton comme d'une canne. Regardant autour de moi.

- Eh. Attendez.

Je progressais encore, me méfiant, surveillant la présence des êtres mystérieux.

- Attendez, je vous dis !

Relativement exténué, je tournai mes yeux vers la jeune femme. Elle était restée contre son arbre, toujours dans la même position. Je soupirai longuement, par le nez, m'apprêtant à lui dire de se taire définitivement, lorsqu'elle pointa un doigt vers le haut.

- Regardez. fit-elle.

Alors je levai la tête. Juste au dessus d'elle, entre les feuilles de l'arbre contre lequel elle s'était réfugiée, de larges fruits rouges pendaient.

- C'est un pommier. conclut-elle, un sourire aux lèvres.


Acide. La pomme n'était pas très mure. Peu m'importait.
Tout en croquant dedans, je récoltais plusieurs branches, essayant d'en trouver des longues. Un petit tas de bois s'amassait près de notre arbre salvateur. Nous avions décidé d'y placer notre abri. La femme m'aidait plus ou moins, portant des charges minimes, manquant de force pour en faire davantage.
Suite à la collecte, nous placions les branchages serrés, appuyés contre le tronc, enfoncés dans le sol,  tentant de former un toit incliné. Les gouttes qui passaient à travers les feuillages étaient peu nombreuses, aussi cette rudimentaire protection, bien que peu imperméable, semblait suffire. Nous pouvions nous tenir assis en dessous, mais pas plus.

Les éclairs continuaient de tomber, le tonnerre de gronder, la lumière de diminuer.

La nuit arrivait, semblait-il.
La femme et moi nous trouvions sous notre abri, dos à dos, un tas de pommes fraichement cueillies à nos côtés. Silence.

- Puis-je vous poser une question ?

Mes yeux se levèrent, je soupirais, avant de regarder à nouveau l'en dehors.

- Tu viens de le faire.

Elle hésita, puis fit :

- C'est vrai. Quel est votre nom ?

- Telod. Toi ?

- Telod ? C'est joli. On lui trouverait presque quelque chose de doux, de calme, de subtil, de fin. Il ne vous va pas très bien. Moi je vous aurai plutôt appelé Gork. Ou bien Karko. Karko le taureau.  

- Toi ? répétais-je brutalement.

- Euh, pardon. Je m'appelle Miosselle.

- Je t'appellerai Mioche. Sinon je vais pas retenir.

- Si vous voulez raccourcir ça sera plutôt Miosse, je pense.

- Je préfère Mioche.

- Je peux vous appeler Telo ? Telo le taureau ?

- Non. T'as quoi avec les taureaux ?

- Ça vous va bien je trouve. Vous donnez un peu l'impression de foncer sans réfléchir, et puis votre manière de soupirer par le nez sans cesse, sans compter votre regard enragé. De plus vous avez beaucoup de force, mais vous l'utilisez de manière inintelligente. Vraiment, je trouve que ça vous correspond exactement.

Un temps passait, je restais concentré sur l'extérieur de l'abri, au cas où les êtres étranges arrivaient.

- Et moi ? Vous avez idée d'un animal qui me correspond ?

- Je sais pas. Un truc tout petit et super énervant.

- Une mouche ? Ça va bien avec le taureau.

- Ouais. Ou un moustique.

- Je vous suce le sang ?

- Pas loin.

Elle rit légèrement, amenant sa main à sa bouche. Puis le silence retomba, et sa main également. Je l'entendis déglutir. Elle trembla, et ramena ses jambes contre elle, avant de dire d'un ton bien plus faible :

- Je ne vais pas pouvoir survivre, vous savez.

Je soupirai, tournant la tête vers elle, je ne voyais que ses cheveux. Sa voix cassée poursuivait :

- Ça n'est pas un caprice, ne me reprochez pas cela. Regardez moi. Je suis une femme minuscule, frêle, faible, ridicule. Nous ne connaissons pas encore vraiment notre situation, ici bas, mais je n'ai pas l'impression que la vie soit clémente pour les personnes comme moi.

Elle marqua un temps, puis essuya une larme avec ses doigts.

- C'est un miracle que je ne sois pas morte ce matin. Les miracles n'arriveront pas tous les jours. Au moindre danger, je ne serais d'aucun secours, et je ne pourrais rien faire pour empêcher mon minable corps d'être broyé. Je serais toujours un poids pour vous.

Elle avala de nouveau sa salive, renifla, puis prononça d'un air déterminé :

- Je m'excuse de vous avoir demandé d'accepter ma compagnie. C'est mon instinct qui m'a fait parler. En réalité j'aurais du vous laisser vous en aller sans rien exiger de vous. Je ne vous sers à rien, je ne vais faire que gâcher vos ressources et votre temps. Je devrais partir. Oui, je vais partir cette nuit.

- Tais toi. sifflai-je.

Elle tourna son visage vers le mien. Je la regardai dans les yeux, ma voix était tranchante :

- On ne décide pas d'une responsabilité, c'est elle qui s'impose à nous. On doit rester ensemble maintenant qu'on l'est. C'est la seule chose à faire. Si tu veux payer la dette que tu as envers moi, contente toi de tout faire pour rester en vie, au moins tu respectes la logique de mon acte. La force c'est dans la tête, pas dans les bras. Crois en toi, arrête d'avoir peur, et fais moi confiance. J'ai décidé que tu n'allais pas mourir.

J'essayais de lui communiquer ma détermination à travers mon regard. Elle détourna les pupilles, puis hocha la tête, les yeux rouges. Je surveillai de nouveau l'extérieur, tout en concluant :

- Maintenant essaye de dormir, je veille.


Le matin arrivait, il pleuvait toujours.
Les éclairs avaient illuminés les environs pendant toute la nuit.

Après avoir mangé chacun notre pomme, nous nous levions. Nous passions un moment à nous confectionner des habits extrêmement rudimentaires, à base de lierre et de fougère. Puis nous collections quelques branches supplémentaires, ainsi que des feuilles, tentant d'améliorer notre abri en le camouflant davantage, l'isolant davantage, et en l'agrandissant. Pour l'isolation et le camouflage, nous utilisions de la terre, de la mousse et les feuillages récoltés, recouvrant ainsi la structure.
De temps à autres nous nous rendions au lac, qui ne se trouvait pas très loin, pour boire quelques gorgées. A chaque fois que nous y étions, Mioche insistait pour que passions un petit moment à étudier la surface de l'eau, afin d'être sûr que personne ne s'y trouvait.

En milieu de journée nous mangions notre deuxième pomme. Mon estomac me criait d'en manger une supplémentaire, mais je ne l'écoutais pas. Il fallait se rationner tant que l'on ne trouvait pas d'autre source de nourriture.


- Vous avez vu ? Il y a des champignons ici. Disait la jeune femme, alors que nous étions partis en exploration non loin de l'abri.

J'émis un grognement en réponse. Les champignons étaient minuscules, bleus clairs. Je continuais d'avancer.

- Peut-être qu'ils sont mangeables. Vous pensez qu'on devrait essayer ?

- Non.

Elle eut l'air déçue, restant quelques instants auprès de sa trouvaille avant de trottiner derrière moi.

- Mais pourquoi ? S'ils étaient consommables on aurait appris quelque chose, et on pourrait en récupérer à chaque fois qu'on en croise. Ça serait intéressant, non ? Et puis s'ils ne le sont pas je pense qu'on ne pourra pas avoir pire qu'une mauvaise digestion. Vous avez vu leur taille ? Ils ne vont pas nous tuer ! Surtout pas vous !

Je n'écoutais pas, soulevant une branche qui trainait au sol. Elle s'émietta dans mes mains, la pourriture l'ayant consumée, je la relâchai. A ma gauche, j'entendis un craquement grave. Mes yeux se tournèrent vers la source du bruit.
Je vis un arbre majestueux, haut, couvert de flammes, inondant les environs d'une lumière rouge.

- Vous m'entendez ? Vous êtes sûr pour les champignons ? Telod ?

Mioche arriva à ma hauteur puis regarda dans la même direction que moi. Alors elle se tut.

- La foudre. Je pense. Dis-je, pour expliquer le phénomène.

Il était tout de même étrange de voir ce feu subsister à la pluie. J'avais l'impression d'assister à une bataille entre les éléments. La jeune femme se mit à avancer, à pas lents, vers les flammes. Je la suivais des yeux, m'apprêtant à lui dire de continuer notre exploration, puis décidant finalement de me taire. Elle arrivait bientôt proche de l'arbre, je suggérais :

- Ne vas pas trop près.

Et elle n'écoutait pas, continuant sans s'arrêter. Je soupirais, puis me mis à marcher dans sa direction, voulant intervenir au cas où elle faisait n'importe quoi.
Le vent sifflait, la pluie martelait, le feu grondait, le bois rompait.
Je crus l'entendre dire quelque chose, mais j'étais trop éloigné pour discerner ses propos. Je m'approchais encore davantage, marchant un peu plus vite, voyant qu'elle était sur le point d'arriver à côté du tronc. Mes pas gagnaient en envergure, les siens restaient constants.

- Mais qu'est-ce qu'elle fout ? murmurai-je à moi-même.

J'étais alors suffisamment proche de Mioche pour entendre ce qu'elle racontait - pour une fois que j'avais envie de l'écouter - elle disait :

- C'est beau, le feu. Vraiment très beau. J'aime beaucoup ça.

J'allais lui répondre que c'était bien plus dangereux que ça n'était beau, mais je ne pus que la regarder s'avancer encore, dans la fumée. Cette dernière me faisait cligner des yeux et tousser, je devais détourner le visage, tout en jurant. Une bourrasque souffla, faisant tomber une large branche enflammée. Une haine intense montait en moi, je voulais hurler.
Et soudain, je vis Mioche revenir vers moi. Elle tenait un bout de bois enflammé dans ses mains, avançant avec précaution, comme si elle voulait le protéger.

- Venez, Telod, rentrons. Aidez moi, on peut certainement parvenir à avoir du feu à côté de notre abri grâce à cela.

Je restais pantois, perdu. Quelque part entre mon incompréhension, ma haine passée, et mon engouement pour l'idée qui paraissait miraculeusement bonne.

- Vous venez ? reprit-elle.

Alors je la suivais.


Au campement, je me servais du restant de bois amassé pour former un petit tas pyramidal sur la terre - dans un endroit relativement épargné des gouttes -, je le remplissais de petites brindilles, et je m'empressais d'entourer de pierres, afin de le maintenir en place. Mioche arriva avec la branche, toujours légèrement enflammée, qu'elle enfourna délicatement à l'intérieur de mon tas de bois. Bien entendu, comme tout était humide, cela semblait relativement inefficace.
Je me mis à souffler doucement sur le feu.

- Continuez comme cela, je vais en chercher une autre.  dit-elle.

J'hochais la tête.


Au bout de la troisième torche, le tas consentit à brûler légèrement, puis de manière plus intense. A la vue du spectacle, Mioche rit, tourna sur elle-même et frappa dans ses mains. Moi, j'haussai un sourcil.

- T'es vraiment tarée Mioche. dis-je, m'en étonnant moi-même.

Nous avions du feu.


Le crépitement des flammes, le bruissement des branches. La lumière jaune, orange, rouge, et les ombres des brins d'herbe. Le dernier voyage de la journée jusqu'au lac. Le reflet dans l'eau. Ondes provoquées par les gouttes. Cicatrices blanches, éphémères, entre ciel et terre.


Alors le soir vint. Et il pleuvait, encore.

- Heureusement que nous n'avons pas attendu que la pluie cesse comme je le suggérais hier ! s'exclama la jeune femme, tandis que nous mangions près du feu.

Les pommes commençaient à me rebuter légèrement, comme si mon corps m'indiquait qu'il avait besoin d'un autre nutriment. Mais je n'avais pas le choix, et mon abominable faim me commandait d'avaler quelque chose.

- Enfin... Cela ne doit pas vous conforter dans l'idée de ne jamais écouter ce que j'ai à dire ! poursuivit Mioche.

Je tournais les yeux vers elle, tout en mâchant d'un air désabusé.
Ses pupilles étaient dirigées vers les flammes. Ces dernières se reflétaient dedans. Le visage joyeux, la femme semblait se ravir de cette source de chaleur. Elle ressemblait à un enfant.

- J'adore le feu. affirmait-elle, au cas où je ne l'avais pas remarqué.

Soupir. Je croquais à nouveau dans mon fruit. Le jus me fit déglutir.

- Il me fait imaginer des histoire, à travers ses formes.

Mes yeux revinrent vers les flammes, regardant également.

- Là, vous voyez, il y a un chevreuil, et un ours. me suggérait la jeune femme.

J'étais sceptique. Mes yeux tentèrent de discerner ce qu'elle voyait. Mais ils n'eurent pas à le faire longtemps. Curieusement, un chevreuil et un ours se mirent à se dessiner dans la fumée, face à moi. Je les trouvais presque trop détaillés.

- Le chevreuil se met à courir, il s'enfuit pour retrouver sa famille.  

Au même moment, alors, la fumée s'anima pour m'offrir le spectacle qu'elle contait. Comme si Mioche décidait de la forme qu'elle allait prendre. Je fronçais les sourcils, trouvant cela étrange.

- Mais face à lui, une falaise, il est coincé. Il ne sait pas par où aller, et l'ours se rapproche. Vous voyez ?

Me demanda-t-elle. Et j'hochais la tête. Puis elle tourna ses yeux vers moi et me reprocha :

- Non, vous dites ça pour me faire plaisir. Je suis en train d'inventer une histoire, et je la vois se dessiner dans le feu, mais vous ne pouvez pas la voir aussi, c'est impossible. C'est uniquement moi et mon imagination !

- Je dis des choses pour faire plaisir ? demandai-je, consterné.

Moment de silence.

- Effectivement cela semble peu crédible. dit Mioche.

Elle hésita puis me demanda, d'un air très sérieux :

- Bon, si vous ne mentez pas alors je me contente d'inventer l'histoire dans ma tête, et dites moi ce que vous voyez dans le feu, comme ça je pourrais constater si cela correspond ou non.

Je soupirais longuement, elle insista, puis j'acceptais, pour que l'on en finisse avec ceci.
Nous nous concentrions tous les deux.
Alors je vis la fumée du feu prendre forme, de manière extrêmement précise.

- Le chevreuil décide de faire face à l'ours. L'ours lève une patte pour frapper le chevreuil, ce dernier esquive, et s'enfuit en contournant l'ours. Tous deux courent à travers la forêt. Mais alors le chevreuil arrive auprès de sa famille. L'ours est tout seul face à six chevreuils. Il crie en leur direction pour tenter de les impressionner. Mais un cerf majestueux fait son entrée, mettant ses bois en avant, prêt à charger. Alors l'ours fait demi tour et les laisse.

Mioche se mit à applaudir et à rigoler.

- C'est fou ! Ça fonctionne vraiment ! C'est génial ! fit-elle.

Un léger début de sourire monta sur la gauche de mon visage. Je trouvais ça étonnant et assez intéressant moi-même.

- Et là que voyez-vous ?

Je regardai à nouveau. La fumée avait pris la forme d'un grand taureau, sur lequel un homme de fumée me représentant était fièrement monté, agitant un bâton en l'air. Le plus ridicule de la scène étant la présence de fleurs tournant autour de l'ensemble de la vision.

Je soupirai et fixai Mioche d'un air infiniment dépité. Elle se mit à rire à gorge ouverte, la main devant la bouche, les yeux pétillants.



Plus tard, je décidai de garder un œil sur le feu et de surveiller les environs le temps de la nuit. Je disais à la jeune femme d'aller se reposer sous l'abri. Elle fut relativement surprise, et me demanda alors :

- Vous ne dormez jamais, vous ?

En baillant. Je tournai la tête vers elle, puis affirmai :

- J'ai jamais vraiment eu le temps pour ce genre de conneries.

Cela la fit sourire. Alors elle me laissa.
Et la nuit passa ainsi.



J'apprenais à attendre. Déphasé, quelque part entre les présents. Mon corps restait assis, figé dans cette position, mes yeux bougeaient machinalement. Le temps me survolait, à un rythme qui ne m'occupait guère. Le manque de sommeil et de nourriture m'emmenait dans une réalité autre, qui semblait confuse et cohérente. Les sons, les odeurs, les sensations passaient sur moi, sans me toucher profondément.
A droite, une grosse goutte tombait régulièrement depuis cette feuille jusqu'à cette marre. A gauche, un oiseau commençait à siffler un chant récurrent. Devant, le crépitement du feu et l'odeur de la fumée. Partout, il y avait la pluie, le vent et le bruissement des arbres.

Et la lumière reprenait petit à petit sa terre à l'ombre. Le matin pointait, lentement. Et ce jour semblait abandonner l'orage, la colère du ciel, mais pas sa tristesse. L'éternelle pluie que je connaissais depuis que je m'étais éveillé restait là. Je commençais à douter de la voir se terminer.


Mioche finit par se lever. Nous allâmes jusqu'au lac pour boire, ainsi que pour manger notre pomme. Nous restions un moment auprès de l'eau, observant l'onde, comme le voulait la jeune femme. Cette dernière était recroquevillée.

- Il fait froid aujourd'hui. disait-elle.

J'haussai les épaules, n'ayant pas d'avis, mes yeux parcourant la surface.  

- Ah si. Croyez-moi. Il fait plus froid qu'avant. Mais au moins s'il n'y a plus d'éclairs, cela me va.

J'eus envie de lui dire de se taire, mais j'abandonnai l'idée en comprenant qu'elle le ferait d'elle-même.
Après un temps, je me relevai pour partir, lui faisant un signe de la main pour lui dire de me rejoindre. Alors mes yeux vinrent vers les siens.
Quelque chose de troublant, dans ses pupilles. Comme si elle était perdue, triste et apeurée. Bien plus que la veille. Je la trouvais à nouveau petite et faible, comme lorsqu'elle se faisait happer par les profondeurs des eaux.
Désemparé, ne sachant pas vraiment ce qu'elle avait en tête, je lui grognai un simple :

- Aller, courage. On y va.

Et elle hochait la tête, fronçant les sourcils en se mettant sur ses jambes.



Par la suite nous décidâmes d'explorer un peu les environs, tentant de prendre des points de repères pour ne pas nous perdre. Il nous fallait trouver de la nourriture, un autre nutriment que les pommes.

Après un long moment de recherche sans rien trouver d'autre que des animaux que nous ne pouvions pas attraper à mains nues, nous rentrions bredouille.

- Vous ne voulez vraiment pas essayer mes champignons ? proposait Mioche, un sourire tendre sur les lèvres, sur le chemin du retour.

- Pas maintenant. Mais si on ne trouve toujours rien avant demain soir, pourquoi pas.

Elle semblait heureuse, s'exclamant :

- Regardez, les plantes, les animaux, Telod fait preuve d'ouverture d'esprit ! Applaudissez-le !

Je montais les yeux au ciel, en soupirant et secouant la tête.
Nous pouvions déjà voir la fumée de notre feu au dessus des arbres. L'abri se rapprochait lentement, les arbres se succédaient. Alors, dans la constance des bruits de pas, je retrouvais la réalité alternative de la nuit passée.
L'odeur neutre de la pluie, le calme, les brises. Le temps semblait ne plus avancer. Rester ainsi, à marcher, pour l'éternité, sans penser.

- Eh, regarde, là, y'a un type et une fille.

Je sortais subitement de mes pensées. Sur notre droite, deux hommes, plus grands que moi, nus, les yeux vitreux, nous fixaient. Celui des deux qui avait parlé à l'instant s'approchait en trainant des pieds, il semblait avoir du mal à se mouvoir.

- On a faim. dit-il. On a pas mangé depuis plusieurs jours. Tu as pas quelque chose ?

Il me regardait sans vraiment me voir, sa main tendue vers moi tremblait. J'avais l'impression que son regard partait loin derrière moi.
Mes yeux étaient fichés dans les siens, je ne répondais rien, restant distant.

- On a des pommes. dit Mioche derrière moi d'une voix timide, terriblement faible. Mais pas ici.

- Donne moi les pommes ! Hurla celui qui n'avait pas encore parlé, à plein poumons, subitement.

Mioche sursauta, recula et tomba sur le sol. Je tournais le regard vers elle, tentant de la rassurer par mes yeux déterminés, elle me fixa et hocha la tête, comme pour me dire de ne pas m'inquiéter pour elle.

- C'est vrai, tu as des pommes, pour nous ? murmurait l'autre, en approchant son visage du mien. Elles sont où ? Tu peux me le dire ? Tu les as rangées où les pommes ?

Ses doigts malodorants venaient juste à côté de mon visage, sans répondre j'écartais sa main, la poussant lentement avec mon bras, mes pupilles restaient plantées dans les siennes. L'homme étrange reprenait :

- Sois gentil. Comprends nous. On a rien. On a faim. On a vu... Notre ami, mourir, sous nos yeux, à cause du froid. On ne peut plus supporter cela. Donne nous tes pommes, on ne t'embêtera pas davantage.

Je n'avais pas de problème avec l'idée de partager mes pommes, la seule chose qui animait ma méfiance était l'impression que m'inspirait les deux individus qui se présentaient devant moi. Je sentais qu'ils n'étaient pas vraiment ici, qu'ils étaient tombés dans une réalité déraisonnable et incontrôlable. Alors, afin d'évaluer leur agressivité, je restais sans rien dire.

- Tu viens de te réveiller, gamin ? grondait l'homme, alors que ses yeux déments vibraient, et que sa tête tremblait. Sur cette terre, quand celui qui est plus fort que toi demande quelque chose, tu obéis. Seuls ceux qui ont de la force survivent, tous, les autres, tous, tous, les autres...

Son visage se métamorphosait devant moi, j'avais l'impression qu'il était en train de perdre toute son humanité. Mon évaluation était immédiatement concluante. Ils étaient agressifs. Il cria :

- Les autres meurent !

Il avait approché sa tête juste à côté de moi pour dire cela. J'appuyais ma main sur son torse et le poussais sans violence pour l'écarter. Il profita de sa position pour faire tomber son œil étrange sur Mioche, affirmant :

- Celle-ci. Celle-ci, elle ne passera pas deux nuits. Elle est déjà morte. Considère qu'elle est déjà morte.

- Mangeons la fille. proposa l'homme qui parlait peu, derrière.

- Ecoute, gamin. reprenait l'autre, s'adressant à moi. Tu ne peux survivre que si tu n'écoutes rien d'autre que ton estomac. Tout ce qui compte c'est ta survie. La fille, elle va mourir. Elle va te bouffer tout, elle va te dévorer de l'intérieur, et toi tu n'auras plus rien. Tu m'entends, gamin ? Il faut la tuer.

- La manger. J'ai faim. Mangeons.

- Elle, doit, mourir ! Hurlait l'homme aux yeux vitreux de toutes ses forces, regardant Mioche avec une colère démesurée.  

Je répondais en lançant mon poing dans sa mâchoire, déchaînant ma force dans le coup, le projetant au sol. Mon visage se tourna vivement vers la jeune femme.

- Pars, fuis, cache-toi. dis-je. Je les retiens.

Mioche s'exécuta rapidement, sans mot dire. Celui que j'avais frappé se tordait de douleur au sol, se cambrant et criant, tenant sa mâchoire ensanglantée avec sa main. L'autre fut soudain réveillé de sa mystérieuse torpeur, il se mit à courir vers la jeune femme à toute vitesse, tout en lançant :

- Elle s'en va ! Elle s'en va !

Ses mouvements avaient quelque chose d'irrégulier, de curieux. Je le poursuivais, puisant dans ma haine pour trouver l'énergie nécessaire à le rattraper.
Je soufflais sous l'effort, voyant, au loin, le dos de la jeune femme se rapprocher. Je choisis de sauter avec violence pour projeter le dément à terre. Ce qui, par miracle, fonctionna.
J'entendis la tête de mon adversaire cogner contre le tronc d'un arbre pendant la chute. Le contact avec le sol me coupa la respiration quelques instants.
D'un mouvement rapide, je relevai la tête, tentant de chercher des yeux le deuxième opposant. Je ne le voyais pas.
Celui qui était à terre à côté de moi releva alors le buste, se jetant sur moi. Un cri rauque s'échappait de sa gorge, du sang coulait sur son front. Ses mains s'écrasèrent sur ma trachée, je comprenais en une fraction d'instants qu'il comptait me tuer.
Sur la droite je saisis une pierre qui était à ma portée, je m'en servis brutalement pour la fracasser sur le crâne du fou. Celui-ci s'écroula sur le flanc.
Alors je me retournai vivement, tentant de repérer la jeune femme et le deuxième dément. Je ne parvins pas à les voir, mes yeux parcourant sans méthode les environs.
Un hurlement à côté de moi.
Je tournai la tête. Le deuxième fou se tenait juste là, une branche en main. Cette dernière volait vers ma tête, je tentai de l'esquiver.
Un goût de sang monta dans ma bouche alors qu'une douleur profonde me lançait dans l'oreille. J'entendis le bâton se briser contre mon crâne. L'homme me donna un puissant coup de pied dans le buste, je crachai.
Il me criait que j'aurais du l'écouter. Il me criait que la vie était ainsi faite. Je reculais rapidement, m'écartant de lui. Il me criait que la mort nous attendait tous. Il me criait qu'ici-bas, dans la vallée maudite, la vie était éphémère. Je me relevais avec douleur, du sang s'échappait de mes lèvres. Mes yeux partaient vers lui, je fixais sans un mot, la rage dominant ma pupille. Il me criait que je ne devais tisser aucun lien. Il me criait que ma survie était la seule chose à laquelle je devais penser. Il s'approchait de moi, tenant son bout de bâton brisé d'un air menaçant, son visage débordant de folie, de peur et de ridicule. Il me hurlait que j'allais mourir, aujourd'hui. Dans ma main droite, pendant derrière moi, je tenais ma pierre fermement.
Alors il fonça vers moi, soulevant son arme de fortune, je lançai la mienne de toutes mes forces en plein dans son visage.
Ce dernier donna l'impression d'exploser.
Et le fou s'effondra sur le sol, de toute sa masse, sans vie.

Je les regardais, quelques instants. Les deux agresseurs étaient devant moi, morts, je les avais tués. Mes mains à mes yeux. Je tremblais légèrement, du rouge sur ma paume. Mon souffle retrouva peu à peu sa régularité, je passai un doigt sur mes lèvres, constatant que du sang continuait d'en couler. Machinalement, je léchai la plaie, alors que j'évaluais la blessure de mon oreille. M'attendant à être mortellement touché, et à avoir le crâne ouvert, je fus surpris de constater que le sang affluait fort peu du côté de mon oreille. Ce qui m'avait sauvé devait être le mauvais choix de son bâton.
La pluie continuait de goutter, l'herbe bougeant avec le vent. Bruissements. Comme si rien ne s'était produit. Encore une fois, je fixai les cadavres qui se trouvaient devant moi, regardant leurs visages défigurés, la pensée trouble et vide. Puis je me décidai à retrouver ma camarade.

- Mioche ? appelais-je.

Je me mis à marcher dans la direction dans laquelle je l'avais vue s'enfuir, un sourire en coin sur le visage, en pensant à la tête qu'elle devait être en train de faire. Un poids pesait sur mes épaules, car j'avais eu à tuer des êtres humains, mais j'étais heureux d'avoir pu nous protéger.

- Mioche ? criai-je, un peu plus loin. C'est bon, tu peux sortir de ton trou, c'est terminé.

Je continuais de progresser, mes pieds avançant l'un devant l'autre avec difficulté. Mes blessures me faisaient mal. Ces types sur lesquels nous étions tombés avaient vraiment un problème, j'y songeais alors. J'espérais que je n'allais plus avoir à assister à un tel degré de démence.

- Mioche ? Mio-oche ? criai-je.

Je soupirais, avant de déglutir.

- Elle est partie à l'autre bout du monde. dis-je pour moi-même.

Essayant de garder mes points de repères, je continuais de m'écarter de l'abri, m'enfonçant encore davantage dans les ténèbres de la forêt. Un petit oiseau chantait sur une branche. L'odeur de la pluie, et son battement.

- Mioche ? Tu peux sortir maintenant ! Je m'en suis occupé des deux crétins. Mio-oche ? criai-je.

Je pensais la voir arriver alors, et me lancer avec un grand sourire : "ah, vous voilà ! Figurez-vous que je me suis perdue comme une crétine ! Heureusement que vous arrivez !". Cette idée elle-même m'épuisait.
Je marchais un peu plus vite. Mon cœur battait dans ma tempe.
Mon épuisement alimentait peu à peu une forme de colère, en moi.

- Eh oh ! Mioche ? T'es où ? hurlai-je.  Mioche ?

Mes molaires s'écrasaient les unes contre les autres, mes poings se serraient, je sifflais de rage. Avançant brutalement.

- Mioche ? Putain t'es où ? Merde ! C'est bon c'est fini maintenant ! C'est fini ! hurlai-je.

Des troncs défilaient. Le vent sifflait.
Alors, un peu plus loin, là, sous l'ombre d'un arbre, je la vis.
Ma marche se stoppa.
Je restais ainsi, figé, les bras le long du corps.
L'œil de haine.

Face à moi, dans la pénombre, trois silhouettes noires, aux visages blancs, croquaient la chair et les os. Immonde. Rien n'était logique dans leurs actes, tout semblait incontrôlé. Je ne pouvais tolérer ce que je voyais. Et le pire était le bruit. Leur bruit de mâchoire, insupportable. Le bruit, était, insupportable.
Peu à peu, autour de moi, tout se tut. Je fixais les créatures, mes paupières grandes ouvertes. Et alors que j'avançais vers elles, mes pas ne produisirent pas le moindre son.
Le ciel, les arbres, les gouttes, les animaux, le vent, tout s'arrêta. La mastication restait, seule, au milieu du silence absolu.
Relevant la tête, les créatures me regardèrent. Lâchant, lentement, le corps qu'elles tenaient entre leurs griffes. Petit à petit, alors que j'approchais, mon regard écrasant, d'une détermination sans limite, les silhouettes arrêtèrent de mâcher.

Aucun bruit.

Odeur de sang. Atmosphère infiniment lourde.
Les monstruosités semblaient opprimées, effrayées, terrifiées. D'un élan, alors que j'arrivais juste devant elles, elles s'en allèrent, courant du plus vite qu'elles le pouvaient, comme repoussées. Elles se dissipèrent.
Un instant passa, et les sons revinrent.

Je me tenais debout. La pluie tombait sur mes cheveux, coulant le long de mon dos.
Devant moi, adossée à un tronc, Mioche était recroquevillée, ses jambes contre elle. La tête tombant sur le côté. La partie droite de son cou manquait. Ses yeux ne voyaient rien. Rien du tout. Ils avaient été, cette fois, bel et bien aspirés par les abysses noirs.


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Jour d'éveil : Jour 1
Race : Racine
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Groupe : Terre Rouge
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Dim 27 Déc 2015 - 1:42


La terre était meuble.
Je ne la pensais pas si facile à creuser.
Mes mains plongeaient dans le sol, lançaient derrière moi.
L'eau dégoulinait, se créant un chemin jusqu'à mes lèvres et mon nez, gouttant.



Une bourrasque fit s'envoler des feuilles. Elles dansaient, quelque part dans mon champ de vision. Et s'échouaient.
Devant moi, trois cavités volumineuses. Leur fond se remplissait d'obscurité, avec l'arrivée de la nuit. Je restais là, quelques temps.
Mes yeux remontèrent alors sur le pommier, massif. Je restais à fixer son bois.
Puis je pris des branches afin de les mettre dans le feu. Ça crépitait.

Mes pas me menèrent alors en dehors du campement.



Effort. Poids, lourd. Odeur repoussante.
Mes pieds se levaient de terre avec difficulté. Mon dos me lançait terriblement. Et pourtant je marchais.
La nuit noire m'entourait. J'étais seul, soufflant, sifflant, grognant.
Et je parvins à revenir vers le feu. Lueur lointaine.


Premier corps. Tombant dans le troisième trou. Je pris des bouts de bois pour lui mettre sur les yeux. Et je poussais la terre. Elle coulait en chuchotant.

Une deuxième fois. Efforts. Et je sifflais davantage.
Je dus le poser. Je reprenais mon souffle.
Autour de moi, j'entendais, petit à petit, la pluie se calmer. Et je me demandais si c'était mon imagination.
Puis je recommençais à avancer, ma charge dans les bras.

Et le deuxième corps. Tombant dans le deuxième trou.
Je pouvais voir la terre ruisseler sur son visage et son torse, l'effaçant, lentement.



Douleur. Souffrance.
Ma tête reposait dans mes mains. Je serrais les dents.
Mes yeux restaient sur le premier trou. Il était encore vide. Je déglutis.
Puis je me mis debout, soufflant avec force, serrant les poings, contractant mes muscles. Mes yeux injectés de rage. Je me donnais une claque violente sur la joue, avant de pousser un cri sauvage, et de me mettre à marcher.



Arrivé là bas, je revis Mioche. Elle gardait la même position.
Je me baissai pour la prendre dans mes bras, la soulevant avec plus de facilité. Mes molaires restaient fermement soudées les unes aux autres, j'avais l'impression de ne pas pouvoir ouvrir la bouche.

J'avançais lentement. La route était longue, terriblement longue, horriblement longue. Malgré son poids, je devais la déposer de temps en temps. Je faisais cela avec délicatesse, m'agenouillant à côté d'elle, ne la regardant pas.

La pluie s'arrêtait alors, ainsi que le vent. La forêt tombait dans le silence.

Je reprenais le chemin.



Et pendant mon avancée, le jour se levait. Petit à petit. Mon cinquième jour depuis mon éveil s'illuminait. La lumière était grande, haute, blanche. Elle filtrait entre les feuilles des arbres, créant des jeux d'ombres sur le sol.

Les nuages blancs se dissipaient, dans le ciel.



Lorsque j'arrivais à l'abri, portant la jeune femme contre moi, je vis alors ce à quoi ressemblait notre campement, sous le soleil.
Une petite clairière s'ouvrant au milieu des arbres, présidée par le pommier, vieux et majestueux. Une petite clairière parsemée de centaines de petites fleurs rouges, qui s'ouvraient à la lumière du jour, que l'on avait confondu avec des brins d'herbe, lorsqu'elles étaient fermées.
Une petite clairière dont le sol était presque noir, parsemé d'éclats écarlates, dominé par un fier pommier, donnant des fruits tout aussi pourpres.

La Terre Rouge.

Je restais quelques instants, à regarder ce spectacle curieux. Je soupirais. Mes yeux tristes et colériques.
Dommage que les siens ne puissent plus voir. Elle aurait eu une réaction un peu plus spectaculaire.



Je déposai la jeune femme au fond de la première tombe. Avec lenteur, je versai la terre sur son corps. Mes pupilles fixèrent une dernière fois son visage, un temps, puis je le recouvrai entièrement. Un oiseau chantait au dessus.
Trois formes ovales, au sol. On ne pouvait même plus savoir de quoi il s'agissait.



Au lac, alors que je buvais, je me rendis compte à quel point il m'était plus facile de voir au loin lorsque le soleil était là.

Dans la journée, parfois, sans prévenir, une averse tombait. Je jurais alors, ne voulant plus voir cette satanée pluie.

J'avais mangé ma pomme. Elle était insipide.

Et par la suite, j'avais saisi un caillou qui avait une forme tranchante, et je m'étais servi d'un rocher pour tenter de l'aiguiser. Après un long moment, il me semblait que ma lame de fortune était convenable.

Alors, je prenais une branche et me servit de mon caillou pour la tailler. Je tentais de la rendre droite, d'affiner son embout pour le faire pointu.
Lorsque je réalisais qu'elle était bien trop fine et molle, je la cassais, saisissant un autre bout de bois pour recommencer la tentative.

Au bout de la cinquième fois, j'obtins une lance qui me convenait relativement. Le bois, correctement choisi, était ferme, épais et solide, et la pointe, bien que fort imparfaite car en bois, semblait capable de transpercer la chair.

Soupesant mon arme, l'évaluant, la faisant tourner dans mes mains, je me dis que je pourrais certainement chasser quelque chose avec. Encore fallait-il savoir approcher l'animal. Et à défaut d'avoir les connaissances nécessaires pour chasser, au moins je pouvais m'en servir pour me battre, en cas de danger.

Par la suite, je me dis qu'il serait utile pour moi de savoir comment donner une forme au bois de sorte à ce qu'il puisse accueillir une lame en pierre, et qu'il tienne fermement cette dernière. J'en viens à la conclusion que le mieux serait certainement d'être capable de percer des trous dans la pierre, de sorte à glisser un bout de bois liant le manche et la lame, en plus de serrer l'un à l'autre avec un cordage quelconque.



Le soir venait.
Au coin du feu, je m'occupais avec ma pierre et un petit pavé de bois. Je creusais des courbes à l'intérieur, donnant une forme abstraite, curieuse, à l'objet. Cela ressemblait de près ou de loin à une chouette aux formes irrégulières. Par endroit le plumage se transformait en spirales, en triangles. A d'autres endroits, il se changeait en lignes droites, parfaitement parallèles. Suite à un temps interminable, le résultat, bien qu'étrange, me plaisait beaucoup à l'œil. On pouvait le regarder sous plusieurs angles sans jamais voir la même chose, un peu comme la fumée du feu.
Je choisis de déposer ma sculpture sur la deuxième tombe. Puis je pris un autre bout de bois.


Pendant un moment, au milieu de la nuit, j'eus une forme d'absence.
J'ai pu surement m'endormir à ce moment là.
Quoi qu'il en soit, après l'absence, le jour se levait, et j'avais une seconde sculpture dans les mains. Elle comportait de nombreuses formes, totalement abstraites et aléatoires, tournantes, grandissantes, pointues, légères. J'avais tenté de représenter le feu, du moins, l'idée du feu. Je ne pensais pas que l'idée ressortait exactement, mais je trouvais le résultat plutôt convenable. Et ainsi, je déposais la sculpture sur la tombe de ma camarade.



J'avais décidé d'explorer un peu, en cette matinée. Il semblait que la pluie avait vraiment laissé sa place au soleil, et aux nuages blancs. J'espérais trouver un autre aliment, quelque chose comme des légumes, des fruits, ou un animal facile à attraper.
Je tenais ma lance dans mes mains, avançant en scrutant alentour.

A la place de trouver quoi que ce soit de comestible, quelque part, au milieu des racines d'un chêne, j'apercevais un cadavre d'homme.
Je me questionnais sur la raison de sa mort.

- Tout le monde meurt. En ce moment. Vous avez pas autre chose à faire ? lui demandai-je.

Il ne répondit pas.



Et ce fut avec ce nouveau corps dans les bras que je revins au campement, épuisé.
Je creusai un nouveau trou, à côté des trois tombes, plaçai le cadavre à l'intérieur, et le recouvris.

J'avais l'impression d'avoir pris le coup de main.



A midi je mangeais à nouveau, au coin du feu. Levant les yeux, j'essayais de compter les pommes qu'il restait sur l'arbre.
Lorsque je me rendis compte que j'avais du mal à les dénombrer, je laissais tomber, me disant que finalement, ma réserve de nourriture était globalement très correcte. Bien qu'elle manquait cruellement de variété.

Ramassant une nouvelle branche, j'entamais la sculpture d'une troisième œuvre abstraite. Mes mouvements gagnaient en dextérité, j'avais le sentiment de comprendre davantage la matière végétale, d'être capable de m'adapter à ses irrégularités, faisant des courbes là où le bois acceptait volontiers que j'en fasse.

Après un moment, j'obtenais une forme plutôt jolie. Je l'appréciais, bien qu'elle ne représentait rien de particulier. Je choisis de la mettre sur la troisième tombe. Puis, pris par mon élan, je décidai d'en finir avec mes sculptures, entamant la quatrième.



J'étais assis sur un rocher, auprès du feu, faisant passer ma pierre sur le bois.
Le soleil lançait ses rayons sur le sol, devant moi. Une petite brise agitait les feuilles, au dessus.

Soudain, j'entendis un bruit, sur la gauche.

Je tournai les yeux. Un homme, nu, les cheveux et les yeux noirs, entrait dans la clairière. Il avait les bras ballants, et semblait profondément désorienté. Son regard partait vers les fleurs rouges, puis vers le feu, puis vers moi.

- Je... Vous... dit-il.

Je reniflais et continuais mon travail, me concentrant sur ma sculpture. Ma pierre coupait une écharde rebelle, je la soufflai.

- Je... poursuivait l'homme avec conviction, sans bouger.

Un gout dans la bouche, je raclai ma gorge, avant d'avaler ma salive, plissant les yeux. Mes pupilles restaient accrochées à mon bout de bois.

- Je viens de... Me réveiller. J'étais dans une sorte de... Grotte. Il y avait des racines, et je ne voyais rien.

Je ne répondais pas, écartant ma sculpture de moi pour évaluer les endroits que je pouvais encore travailler, décidant de placer des lignes droites à un endroit précis.

- Je ne me souviens de rien. Où on est ? Vous... Vous pouvez m'aider ?

Je fronçai les sourcils, puis mes yeux revinrent vers le type qui me parlait. D'un ton relativement ferme je demandais :

- T'as faim ?

Il haussa les sourcils, puis répondit :

- Euh... Oui, plutôt, oui.

Alors je ramassai une pomme dans la réserve, juste à côté de moi, et je la lançai en sa direction. Il parvint à la rattraper sans la faire tomber, ce qui m'impressionna plus ou moins. Il me remercia chaudement, souriant, osant s'approcher un peu. Les questions continuaient, il semblait réellement perdu le bougre.

- Mais vous pouvez me dire ce que c'est, ici ? Pourquoi je me suis réveillé et je ne me souviens de rien ? Je veux dire... Vous avez bien une idée, non ?

- Prrp. dis-je.

Il mangeait tout en se frottant les bras. Visiblement, il avait froid. D'un mouvement de tête je lui indiquais de s'installer près du feu. Ce qu'il comprit, à mon plus grand bonheur. Finalement ce ne devait probablement pas être un demeuré.



Un petit temps plus tard, j'avais terminé la sculpture, je la déposais sur la dernière tombe. Curieusement, cette fois, le nouvel arrivant ne posa aucune question.



Le jour passait.
Avec l'aide de mon nouveau compagnon, qui avait trouvé de quoi se vêtir, et dont j'avais appris le nom : Jey, je m'appliquai à améliorer encore l'abri. Ayant appris que la terre noire de cette clairière était curieusement malléable, je m'étais mis en tête de creuser à l'intérieur de l'abri pour gagner en hauteur. Cela se révélait être une plutôt bonne idée. Nous creusions dans le but de pouvoir tenir debout à l'intérieur, ce qui était relativement long, la tache se complexifiant lorsque nous nous heurtions à des racines et des cailloux résistants.



- Telod ? Pourquoi est-ce qu'on attend près du lac à chaque fois que l'on va boire ? demandait Jey, le soir, alors que nous nous désaltérions pour la dernière fois avant de dormir.

- Tu comprendras.

- Ah. Dans ce cas je peux rentrer moi, si tu veux toi tu peux rester.

- Non. dis-je, fermement.

- Mais, explique-moi, pourquoi  ?

- Tu restes. ordonnais-je.

Et mon camarade s'exécutait, relativement contrarié mais pas en colère. Jey semblait être un homme patient.



La nuit tombée, nous mangions. Je demandai à mon compagnon d'aller se coucher, il me répondit de le réveiller en milieu de nuit pour que l'on se relaie. J'acceptai, bien que je ne pensais pas parvenir à dormir beaucoup.



Le septième jour se levait.
Il faisait un peu plus chaud.
Dès le réveil, nous allions au lac. Là-bas, nous attendions à nouveau, scrutant la surface de l'eau.

- Tu cherches quoi ?

Je fis signe à Jey de se taire. Alors, comme pour répondre à sa question, je vis une forme sombre nager de manière désordonnée, quelque part au loin. Je me mis à avancer, les jambes dans l'onde, jusqu'à la taille, faisant des grands signes de bras.

- Par ici ! Criai-je pour que la personne me voit.

Je me demandais si elle allait se noyer, la surveillant. Mais je me rendis compte, m'en réjouissant, que je n'allais pas avoir à intervenir. La personne nageait sans problème, arrivant jusqu'à nous, sortant enfin de l'eau.
C'était une jeune femme nue à la peau grisâtre, les cheveux extrêmement sombres et les yeux gris clairs. Elle sortit du lac, les bras repliés sur elle-même, comme pour indiquer qu'elle avait froid.
Elle s'approcha de nous.

- Tout va bien ? s'enquit Jey.

- Je crois. murmura la femme, impressionnée par notre présence. Mais je ne me souviens de rien. Je ne sais pas.

- Ah d'accord ! affirma mon compagnon en se tournant vers moi. En fait c'est comme ça pour tout le monde ? Et c'est pour cette raison que tu restes tout le temps près du lac ? C'est ça ? Mais pourquoi tu me l'as pas dit plus tôt ? C'était facile à expliquer non ?

Je me retournai, me servant de ma lance comme d'un bâton pour marcher, allant vers le camp.

- Telod ? appelait-il, avant de renoncer.

Il jura puis accompagna notre nouvelle recrue, lui disant que nous avions un abri un peu plus loin, que nous avions des pommes, et que tout le monde était dans la même situation, que personne ne se souvenait de quoi que ce soit.

- Moi par exemple, je me suis réveillé dans une grotte.

- Une... Une grotte ? demandait-elle timidement.

- Oui ! J'étais au milieu de racines, j'ai du me débattre pour m'en défaire, c'était étrange.

- Pourriez-vous faire moins de bruit, s'il vous plait ? dis-je en tournant la tête vers eux.

Ils me regardèrent avec surprise, puis échangèrent un regard qui ressemblait à de l'incompréhension mutuelle. Je continuais de marcher un peu plus vite.

- Il est toujours comme ça ? chuchota la nouvelle.

- Non, normalement il est moins poli.



De retour à la Terre Rouge, nous donnions une pomme à la jeune femme, et lui conseillons de se confectionner des habits comme elle le pouvait. Et elle fut très efficace et douée en la matière, beaucoup plus que nous. En un instant elle parvint à un résultat très impressionnant. Ses vêtements semblaient résistants et agréables. Nous étions étonnés.
Je lui demandai son nom, elle me répondit qu'elle s'appelait Fadone. Alors nous lui proposions, avec Jey, de s'afférer à essayer de confectionner d'autres vêtements, pour nous, pour elle et pour d'éventuels futurs compagnons. Elle accepta.

Pendant ce temps, moi et l'autre homme tentions de bâtir un deuxième abri. Jey avait beaucoup de talent pour confectionner des cabanes, je le laissais donc faire à sa guise, suivant ses directives.

Après le repas du midi, tandis que Jey continuait son travail sur le deuxième abri, je me mettais à tenter de fabriquer des lances de bois semblables à la mienne pour mes camarades. Ma capacité à choisir judicieusement la branche à utiliser avait grandement augmentée. Pour un seul essai raté, j'avais déjà une lance supplémentaire fonctionnelle. Je la donnais à Fadone.

Puis je débutai la confection de la prochaine.

La chaleur nous épuisait, si bien que nous décidions assez rapidement de retourner au lac. Une fois là-bas, nous buvions, puis nous attendions en scrutant la surface.

Je ne m'attendais à rien. Vraiment à rien du tout, depuis ce matin.

Par conséquent je fus extrêmement surpris de me rendre compte qu'un être humain bougeait dans l'eau, au lointain, sous l'ombre d'un nuage.

- Encore un ? soufflait Jey, étonné.

- On dirait. dis-je.

- Eh beh ! Je comprends vraiment bien pourquoi tu restes ici maintenant ! Pardon d'avoir douté de toi ! s'exclamait le jeune homme.

- Ouais, non mais là c'est particulier quand-même. C'est quoi ce débarquement de gogoles ? soupirai-je.

- Gogoles ? répéta Fadone, timide et vexée.

- Ici ! Là ! hurlait Jey à pleins poumons. Là ! Viens ici ! Ha ! Ha ! T'es bête Telod !

- Je t'inclus dans les gogoles toi, tu sais.

- Ah...

Ce fut un homme, pas très grand, cette fois, qui sortit de l'eau. Il resta devant nous, nu. Sa peau était grise, de la même couleur que celle de Fadone, mais lui avait les cheveux très blancs, à l'inverse.
Il nous regarda un moment, sans rien dire. Je ne lui adressais pas la parole non plus. Puis il ouvrit la bouche, pour demander :

- Quoi ?

Jey me regarda, regarda Fadone, puis demanda à l'homme :

- Quoi, quoi ?

- Bah pourquoi vous m'avez demandé de venir ?

Mes deux compères semblaient relativement désemparés.

- Bah... Tu te souviens de rien, non ?

- Oui. Et alors ? Quel rapport ?

- Ohlala. dis-je, avant de me retourner et de me mettre en route.

Je n'avais pas vraiment envie de participer à cette conversation.



Après un long débat, nous apprenions que le curieux nouveau compère s'appelait Zön. Fadone lui donna des vêtements, il les mit sans poser de question - par miracle - et assista Jey dans ses constructions.

Moi je revins à mon bois. Les efforts finissaient par payer, je sus profiter de mon expérience pour que la troisième lance soit prête avant la nuit, sans même avoir à faire de ratés. Je donnai sans hésitation celle-ci à Jey, tout en lui disant de rester vigilant, et de la garder auprès de lui. Il hocha la tête en me regardant dans les yeux.
Effectivement, dans l'après-midi, mes trois nouveaux camarades avaient pu assister au spectacle des silhouettes noires, nous guettant, au loin, dans les bois. Ils avaient alors compris que rien de ceci n'était un jeu, et que l'heure n'avait jamais été à la détente.



Le repas du soir arrivait.
Nous nous regroupions tous les quatre autour du feu, chacun tenant une pomme dans sa main. Je regardais les fruits, préoccupé. A quatre le pommier n'allait bientôt plus être suffisant. Il fallait trouver une source de nourriture stable supplémentaire, sans quoi nous allions rapidement manquer.

- Nous avons fini notre construction, avec Zön ! annonça fièrement Jey.

Les gens mangèrent sans répondre. Le bruit des mastications.

- C'est qui le type qui a trouvé cet endroit ? demanda Zön.

- Telod. C'est lui qui est là depuis le début. Le premier abri et le feu étaient déjà là quand je suis arrivé moi.

Je passai ma langue sur mes dents pour déloger un bout de pomme qui s'y était coincé.

- Je vois. J'aurais du m'en douter, c'est le seul qui a l'air de savoir ce qu'il fout. annonça le nouveau.

Les autres firent la moue, montrant leur désaccord sans le prononcer réellement. Paraissant sentir eux-mêmes leur manque de connaissance sur le monde et l'environnement. Zön se tourna alors vers moi et me dit :

- Bon travail, en tout cas, et merci. Ça a du être vraiment dur pour toi.

Jey sourit, puis fit venir ses yeux vers moi, et son visage se décomposa, petit à petit. Tout le monde se taisait, ils ne croquaient même plus dans leur pomme. Leurs pupilles vers moi.

- Mh. me contentai-je de répondre, pour qu'ils me lâchent.

- C'est vrai, j'y avais pas pensé. Désolé. T'as été un vrai guerrier pour réussir à faire tout ça par toi-même. C'est profondément gentil de nous partager tes pommes. affirma Jey.

- Ferme ta gueule. dis-je. Et bouffe la ta putain de pomme. Merde.



Le deuxième abri, ayant été confectionné avec plus de savoir faire que le premier, comportait plus de place. Il avait été fabriqué sur la même base, mais cette fois ses bouts de bois ne reposaient pas contre le tronc d'un arbre, ils se tenaient entre eux, formant un toit triangulaire. Sous le toit, le sol était creusé, de la même manière que nous l'avions fait pour le premier. Le tout paraissait correctement imperméable, couvert de feuilles et de terre.
Je me proposai pour monter la garde. Les autres acceptèrent - Jey me demanda de le réveiller comme la nuit dernière - et ils prirent place dans les abris. Un dans le premier, deux dans le deuxième.

Rien ne se passa de particulier. J'ai simplement eu, comme toujours, beaucoup de mal à fermer l'œil, malgré le fait que je dormais extrêmement peu.



L'aube se levait, et avec elle, une averse relativement violente, qui permettait alors de confirmer que le deuxième abri était mieux conçu que le premier.

Alors que nous marchions vers le lac pour boire, Zön nous fit partager une intéressante découverte : un magnifique silex qu'il avait trouvé sur le sol. Une pierre très dure, très belle, que je rêvais de tenter de travailler. Mes camarades me donnèrent leur autorisation.

Ainsi, jugeant qu'il était temps pour moi de passer aux choses sérieuses, je me mis en tête de doter la dernière lance que je voulais confectionner d'un embout en pierre solide, à l'aide de ce silex.

Je commençai mon travail, aiguisant la pierre contre un rocher, tentant de lui donner une forme pointue.

- On part regarder s'il n'y a pas un peu de nourriture autour d'ici ! annonça Jey, accompagné de Zön qui ne semblait pas ravi de faire encore équipe avec lui.

Ils se mirent alors à marcher tranquillement. Je levai les yeux vers eux, puis criai :

- Attends. Attendez.

Les deux hommes se retournèrent, me regardèrent, revinrent vers moi. Je les fixais.

- Soit on part tous ensemble, soit on reste tous.

Ils semblaient assez déstabilisés, ne sachant pas pourquoi je disais cela. D'une main je continuais d'aiguiser le silex. Jey émit une suggestion :

- Si on reste toujours tous soudés on va finir par se gêner mutuellement. Nous on a rien a faire si on reste ici, et toi tu dois construire ta lance.

Je répondis par un bruit de bouche dubitatif. Mon nez inspira une large bouffée d'air, puis expira. Je prenais la lance - qui se devait être la mienne - sur mon flanc et la lançais en direction de Zön.

- Ne vous écartez pas trop, ne vous perdez pas, prenez des points de repères, et surtout revenez ici régulièrement. C'est un compromis. On est d'accord ? dis-je.

Zön ramassa mon ancienne lance, la serrant fermement. Il me fixa dans les yeux. Au fond de ses pupilles, je pus voir une forme de détermination brute, absolue. Ce gamin saurait faire preuve de sang froid.



Quelques instants plus tard, dans la clairière rouge, nous n'étions plus que deux, Fadone et moi. J'eus d'ailleurs l'occasion de demander à cette dernière d'essayer de me confectionner une forme de cordage, pour ma lance. Et elle s'agita dans cette optique, sélectionnant des plantes.

Un peu après, elle s'approcha juste à côté de moi, assise sur le même rocher, et me demanda de sa voix timide, sans lâcher des yeux son travail.

- Telod ?

Je ne répondis pas. Ma pointe semblait être en phase d'être achevée. J'avais laissé à l'autre bout du silex une forme relativement épaisse et longue, ne sachant pas ce que j'allais utiliser pour fixer la pierre au bois.

- Tu peux m'expliquer... A moi... Pourquoi tu ne voulais pas qu'ils partent ? continuait ma camarade.

Du coin de l'œil j'observai la jeune femme, un court instant. Je soupirai. Puis ma réponse fut une sorte de grognement désarticulé :

- Tu comprendras.

Et elle n'insista pas.



Lorsque les deux explorateurs revinrent, ils étaient quatre. Je fronçai les sourcils en les regardant.
Deux nouvelles personnes. Un grand, la peau ridée, les cheveux gris, et un plus jeune et plus petit, la peau d'un noir charbon, les cheveux gris clairs et les yeux gris foncés.

Ils avaient déjà des habits, ainsi que des pierres qu'ils gardaient dans leur main, ce qui devait être leur arme.

- Voilà deux personnes que nous avons croisé sur la route ! annonça Jey avec bonne humeur. Le grand s'appelle Baal et le petit Sevin.

- Incroyable ! Vous avez des pommes ! C'était donc vrai ! s'exclamait le dénommé Baal, d'une voix vieille et cassée, en regardant le feuillage du pommier.

Sevin, lui, vint vers moi et vers Fadone pour nous saluer, tandis que le grand restait devant l'arbre, exalté.

- Excusez-le, me confia Sevin, nous n'avons pas mangé depuis deux jours, voilà la raison de son bonheur. Vous êtes un Racine ?

Je le regardais, me demandant d'abord ce qu'il voulait dire par là, puis comprenant l'instant d'après, et affirmant :

- En effet.

- Tout comme votre ami Jey et mon camarade Baal. Moi je suis un Échoué comme vos deux autres compères. C'est absolument fabuleux de voir autant d'Échoués au même endroit, il m'avait semblé que nous étions rares. Est-ce un hasard ?

- Pas vraiment. répondit Fadone, un sourire aux lèvres. Ils passent du temps à regarder le lac pour voir s'il n'y a pas quelqu'un à sauver. Ils nous aiment bien, je crois.

En réalité je commençais à en avoir marre de récolter tous ces individus à la carrure très faible. D'autant que je n'arrivais jamais à cerner leur comportement. Ces gens venus du lac étaient les plus mal en point à tous les niveaux, que ce soit physique ou mental, et l'idée d'avoir à en supporter un tel nombre m'épuisais.



A midi six pommes furent mangées. Il fallait de toute urgence trouver autre chose pour se nourrir.



Par la suite je me mettais à tailler une branche solide, bien choisie, pour confectionner le manche de la lance. Les quatre autres hommes, eux, faisaient de leur mieux pour fabriquer un troisième abri, permettant d'accueillir les deux nouveaux arrivants, prenant comme modèle le deuxième abri.

Fadone, quant à elle, me fournit exactement la corde dont j'avais besoin. Je la trouvais assez impressionnante. J'hochai la tête pour la remercier.

- Peux-tu essayer d'en fabriquer d'autres ? Ça sera forcément utile.

- Bien. dit-elle.



Le temps, comme souvent depuis plusieurs jours, hésitait entre le soleil et les averses. Cette fois, la pluie dérageait vraiment les bâtisseurs, à chaque fois qu'elle frappait, puisqu'ils ne construisaient pas en dessous d'un feuillage quelconque. Je les entendais fréquemment se plaindre, jurer, en vouloir au ciel.



Plus tard, nous étions près du lac, en train de boire.

- Il faudrait concevoir des récipients. Ça éviterait les allers retours. affirma Jey.

- Tu crois vraiment que ça sera utile ? demanda Zön.

- Oh... Non... soufflais-je.

J'avais les mains sur le visage. Tous mes camarades tournaient les yeux vers moi. Alors, résigné, je levais haut le bras, l'agitant lentement, sans ferveur.

Cette fois tout le monde se retourna vers le lac. Et ils virent ce que je voyais : encore une autre femme, en train de sortir de l'eau sur le rivage, au loin sur la gauche.



- Tu t'appelles comment, toi ?

- Galline.

Sa peau était très pâle, ses yeux aussi. En revanche ses cheveux s'approchaient du gris foncé. Elle avait un regard étrange, vif et méfiant. Et le plus bizarre dans tout ceci étaient ses dents, elles étaient vraiment très pointues.

- La deuxième fille ! Fadone tu as une amie !

- Je crois pas. rétorqua la nouvelle.

- Eh, du calme, pourquoi tu es aussi froide ? demandait Jey en s'approchant d'elle.

- Je t'emmerde connard, casse toi ou je t'arrache les couilles et je te les fais bouffer.

Les gens paraissaient interloqués. Le vieux, Baal, se sentit en mesure de rétorquer quelque chose :

- Calmez-vous jeune femme enfin, nous ne vous voulons aucun mal.

- Ça c'est à moi d'en juger, vieux con. Garde tes distances.

- Mais enfin c'est incroyable ça ! s'exclamait le concerné.

- Moi si je suis venu ici c'était pour savoir ce que vous aviez à me proposer. Soit vous déballez votre sac maintenant, tout de suite, et vous me dites en précision ce que vous attendez de moi, soit je m'en vais et je veux pas qu'on se recroise. Pigé ? Vos têtes me reviennent pas.

- On dirait Zön. Fit Jey en rigolant.

Un brouhaha suivit sa déclaration, assez désorganisé. Les gens essayaient tous de lui faire comprendre qu'on ne voulait simplement que se serrer les coudes, parce que nous étions tous dans la même situation, et que si nous la laissions toute seule elle allait être rapidement en mauvaise posture. Moi, je tournais les talons, et me mettais en route pour rentrer à la Terre Rouge.

- Toi ! criait alors la nouvelle, au dessus du bruit.

Je retournai la tête, me rendant compte qu'elle me montrait du doigt.

- C'est toi qui m'a appelée en premier. Alors parle moi au lieu de te barrer !

Je soupirai. Tout le monde se taisait alors, pas le moindre son. On aurait dit que je les impressionnais, tous, je n'en comprenais pas vraiment la raison.

- Parler, toujours parler. Je m'en fous moi. Tu fais ce que tu veux Gamine.



Finalement elle choisit de nous suivre. Je ne savais pas la raison de sa décision, puisque j'étais parti trop loin pour les entendre parler. De toute façon cela m'importait peu.
Dans la suite de l'après midi je parvins à confectionner un bois droit et solide très convenable pour ma lance. Puis j'entaillais profondément l'embout pour que le silex s'y glisse. Avec quelques irrégularités, sous formes de crochet, que j'avais volontairement incrustées dans le silex, je parvins à lier relativement solidement le bois à la pierre. Cela fut d'autant plus concluant lorsque j'enroulais très fermement le cordage autour.

De mes doigts, je tentai de faire bouger la pierre. Et même en forçant dans diverses positions je n'y parvins pas. Satisfait, j'en conclus que, même si cela était loin de l'idéal que j'aurais espéré, mon arme se trouvait être relativement correcte.

Alors la nuit tombait.



Autour du feu, alors que nous mangions, Jey affirma que le troisième abri, qui venait d'être terminé, était encore mieux que le deuxième, très fier de lui. J'avais une impression de répétitivité assez énervante.

- Pouvez-vous nous raconter ce que vous avez vécu, avant d'arriver ici ? demanda alors Zön à Baal et Sevin.

- Oui, parce que nous venons d'arriver dans ce campement aujourd'hui, avant nous étions, le vieux Baal et moi, seuls dans la nature. expliqua Sevin à Galline, serviable.

- Oui, d'accord, j'en ai rien à foutre. répondit l'intéressée, tout en croquant dans sa pomme.

- Comme vous voudrez. affirma Sevin en souriant d'un air aimable.

- On s'est réveillé il y a de ça quatre jours. débuta Baal, ses yeux parcourant les visages. J'avais parcouru une vaste plaine dans le but de trouver de quoi manger et boire. En tombant finalement sur le lac, j'y ai trouvé le jeune Sevin, en train de reposer sur le rivage.

- Dès le premier jour ? questionna Zön.

- Dès le premier jour. Puis nous sommes repartis dans la plaine. Là-bas... Au deuxième jour nous.

Il stoppa son discours. Sevin reprit pour lui, l'air grave.

- Nous découvrîmes un groupe de trois autres personnes. Ces derniers avaient tellement faim qu'ils s'étaient mis en tête d'attaquer une meute de loup qu'ils avaient vu rôder dans les parages. Ils voulaient attraper une bête isolée. Mais les loups les ont entendu arriver, les trois hommes sont morts devant nous, et nous nous sommes enfuis.

- Ils étaient carrément cons en même temps. affirma Galline.

Zön se mit à rire en hochant la tête. Je vis une lueur de rage traverser les yeux du vieillard. Sevin coupa le rire avec une voix tranchante.

- Vous savez ce qu'est la faim ? Vous la connaissez ? Je ne crois pas. Ne manquez pas de respect à ces gens.

Un froid. Silence.

- Poursuivez. fit Jey d'une voix grave.

Baal restait sans parler. Sevin reprit.

- La suite n'a rien de passionnant. Nous avons erré, sans rien trouver à manger si ce n'est une poignée de petites mures. Puis nous sommes arrivés ici.

Fadone me regardait, je lui rendis son regard, puis elle détourna les pupilles. Zön, alors, recommença à parler :

- Je vois. Si c'est pas trop vous demander, est-ce que chacun peut dire depuis combien de temps il est réveillé ? Pour que nous puissions avoir un ordre d'idée. Moi ça fait un jour et demi.

- Deux jours et demi moi. Fit Jey en levant la main.

- Bah nous ça fait quatre jours avec Baal, comme je l'ai dit. soupira Sevin.

- Deux jours. affirma Fadone.

- Je pense pas que ça soit nécessaire, moi. dit Galline, sarcastique.

Alors les gens tournaient leurs yeux vers moi. Je soupirai.

- Huit.

Ils ouvrirent grands les paupières. Ca me gonflait déjà. Sevin demanda :

- Tu plaisantes ?

- C'est mon genre. Et puis c'est drôle comme blague. Imbécile.



L'heure de dormir était venue. Jey proposait que la garde soit assurée par deux personnes debout en même temps qui se relaieraient avec deux autres. L'idée paraissait bonne.
Comme d'habitude, je voulais participer à la première garde.
Et à la surprise générale, ce fut Galline qui demanda à veiller avec moi.

Plus tard, dans la nuit, elle m'adressa la parole :

- Pourquoi toi t'as pas pris de pincettes avec moi, comme les autres ?

- Pourquoi je le ferais ? soupirais-je.

- Bah je sais pas, pourquoi ils le font ?

- Je sais pas, ils sont cons ?

- Ceux qui prennent des pincettes c'est les manipulateurs et les hypocrites de merde. Y'en a une chiée dans ta petite troupe de trous du culs, je te le dis moi.

- Bon. Pourquoi tu me poses tes questions si tu as tes réponses ?

- Au cas où tu avais un avis différent. Apparemment t'es juste trop bête pour en avoir un. Je serais toi je me méfierais du vieux, de son pote, et de Jey.

Je soupirai avec force. Elle reprit :

- Je suis très sérieuse. Je pense que j'ai pas mal d'intuition. Franchement ils me reviennent pas ceux là.

- On t'a déjà dit que tu étais chiante ? lui demandais-je.

- Faudra pas t'étonner de te faire trahir et de prendre un coup de couteau dans le dos, alors. siffla-t-elle.

- Ta gueule.

Elle fit la moue, fronçant les sourcils et me regardant du coin de l'œil. On aurait dit qu'elle me boudait. Au bout d'un moment de silence reposant, elle se tourna vers moi et recommença :

- Mais merde, t'es le seul à être droit, tu veux pas faire preuve d'intelligence et écouter un peu ce que j'ai à te dire ?

- Non. Tes plaintes de pisseuse me passionnent pas. Tu confonds intelligence et angoisse. Tout ce que tu fais c'est flipper. Moi j'ai pas peur. Celui qui me cherche des noises et qui fait le salopard je l'ouvre en deux, c'est simple comme règle. Tant qu'ils n'agissent pas comme des cons j'ai pas de raisons de réfléchir davantage.



Neuvième jour depuis mon éveil.
Mon projet fut, en cette matinée, de constituer trois lances supplémentaires : pour armer Galline, Baal et Sevin qui ne l'étaient pas encore. Pendant ce temps, des petits groupes se formaient. Jey et Zön partirent en exploration, dans la continuité de ce qu'ils avaient fait hier, Baal et Sevin tentèrent de trouver de nouveaux silex autour du campement, et de travailler des pierres afin de constituer des couteaux. Fadone, à côté de moi, continuait de fabriquer des cordages, sous ma demande.
Galline, de son côté, paraissait ne rien faire du tout. Elle observait l'herbe.
A un moment donné, je la vis bouger du coin de l'œil. Puis se lever, triomphante.

- Regardez ! dit-elle, souriante, en nous tendant ses mains fermées.

A l'intérieur des mains, en regardant bien, on pouvait voir un petit œil noir brillant, ainsi qu'un museau reniflant, apeuré.

- C'est un mulot ça, non ? demanda Sevin qui s'était approché.

- Vous pensez que vous seriez capable d'en attraper plus ? On pourrait les manger. dit le vieux Baal.

- Ça va pas non ? On va pas le bouffer c'est mon pote ! lança Galline avec fermeté.

- Ton pote ? Mais tu viens à peine de le capturer.

- Tu connais l'humour trou du cul ? Non mais sérieusement, je sais pas si y'a quoi que ce soit à grailler sur cette merde. Je vais probablement le couper en deux pour voir comment c'est foutu à l'intérieur, ça m'intéresse.

Mes camarades regardaient Galline avec un air dégouté.

- Quoi ? demanda-t-elle.

J'avais un sourire en coin.



Autour du repas de midi, mes compagnons parlaient. Ils parlaient de plus en plus fort, cela m'irritait.
Je m'écartais d'eux, retournant à mon travail.

- Tu t'en fous de mon récit, Telod ?

- Profondément.

- Est-ce qu'il y a des fois où tu arrêtes de faire ta sale tête ? C'est vraiment emmerdant au bout d'un moment.

- Pourquoi tu me parles, Jey ? Tu veux quoi ?

Sevin intervint, me demandant d'un air un peu timide et réfléchi :

- Ecoute, on veut juste savoir comment se comporter avec toi. Si on dit des trucs qui t'emmerdent on...

- Moi je veux juste que vous la fermiez. Cette conversation m'énerve encore plus que la précédente. Parlez entre vous. ordonnai-je.

- Tu te situes à des sphères supérieures c'est ça ? criait Jey qui commençait à se mettre en colère.

Je m'étonnai de sa colère, d'habitude il était extrêmement patient. Visiblement il ne savait toujours pas vraiment qui j'étais. Mais je n'avais pas envie de m'expliquer.
En réalité cette conversation tombait tellement bas dans le domaine du ridicule que j'avais juste envie de la faire disparaitre de l'univers. Ainsi, pour faire un peu comme si, je me tus.

- Réponds moi !

- Ça suffit, Jey. intima fermement Fadone.

Il était rare de l'entendre parler. Elle devait avoir trouvé ça important. Visiblement cela fonctionna.



Suite à ce déjeuner mouvementé, l'ambiance restait relativement mauvaise. Je m'en fichais, personnellement, et m'appliquais à finir mes lances. Deux avaient déjà été sculptées.

Je ne savais pas réellement ce que les autres étaient en train de faire, quoi qu'il en soit, je les comptais bel et bien tous les six à l'intérieur du campement. A vue d'œil, Jey et Zön semblaient récolter des plantes alentour, alors que les autres continuaient leur activité du matin.



Je finissais de tailler ma dernière lance, ajustant la pointe, la regardant de près, lorsque j'entendis un cri.
Puis un hurlement.

Aussitôt, je balançai l'arme à Galline qui se situait à côté de moi, prenant avec moi ma propre lance à l'embout en pierre, avant de me ruer vers la source du bruit.

- Un ours ! entendais-je.

Nouveau hurlement, profond, puissant.

Troncs. Feuilles. Mon souffle rauque. Je balayais la forêt du regard.

Alors je vis un pelage brun très sombre, large, recouvrant Zön. La bête avait la gueule fermée sur l'épaule de l'homme. A ma gauche je voyais Jey, terrorisé, reculant. A ma droite c'était Baal qui n'avançait pas.

Je courus vers l'ours, laissant ma lance par terre pour saisir, sur mon passage, un énorme cailloux. Le tenant fermement dans mes mains. Sans laisser le temps à l'animal de se rendre compte de mon approche, je me jetais sur lui, balançant l'énorme pierre sur son crâne. L'ours recula, l'œil gauche broyé, en sang. Il gronda en ma direction.
J'avais attiré son attention.

Je fis quelques bonds en arrière, me baissant pour reprendre ma lance, la pointant vers la bête.

- Approche ! Hurlai-je à pleins poumons. Approche saloperie !

Zön, quant à lui, se démenait pour ramper ailleurs, tenant sa plaie avec sa main.

- Approche !

L'ours se mit à charger vers moi. Dans son élan, il fut coupé par un projectile : la lance de Jey venant percuter sa patte sans la percer. Au même moment, d'autres lances furent projetées. L'animal gronda.
Je m'avançai alors vivement, mon corps envahit par ma rage, faisant un long pas en avant, piquant avec ma lance de toutes mes forces.

Par chance la pointe se ficha profondément dans son œil déjà endommagé.
La bête s'écroula au sol, morte. Je pensais avoir atteint son cerveau. Je poussai alors, suivi de tous mes compagnons, un bref cri de victoire, quelque part entre le soulagement et la colère.

- Zön ! dis-je alors, me ruant vers lui.

Je l'atteignais.

- C'est pas bon. Tu sais. susurra-t-il en me voyant, un sourire sur le visage.

Son torse était couvert de sang. Sous sa main je voyais la blessure, profonde, déverser du pourpre sans s'arrêter.

- Vite ! Aidez le ! Aller ! hurlais-je aux autres qui se précipitaient.

Nous transportions le blessé dans le campement, Galline, qui s'était toute seule imposée comme la spécialiste, essayait de calmer l'hémorragie. Malheureusement, nous ne savions pas comment nous y prendre.

Au bout d'un moment interminable, infiniment frustrant, nous dûmes nous résoudre au fait que Zön n'allait pas vivre. Sa blessure, infligée par les crocs de l'ours, lui avait presque découpé le bras, et avait du ouvrir une artère, nous ne savions pas nous occuper de cela.

- Je sais que je vais crever. Laissez tomber, c'est bon. avait annoncé Zön.

- Tu peux pas dire ça. faisait Jey en pleurant.

- Écoutez moi. reprit le mourant d'une voix faible. Je suis celui de nous qui se pose les questions. Continuez de vous en poser après ma mort. Ce monde n'est pas vide. Il a quelque chose, en lui. Interrogez-vous sur notre vie, questionnez vos rêves, les nuages, les arbres. Regardez au delà des apparences, demandez-vous ce que nous sommes, quelle est notre place, comment nous devons agir. Les réponses sont quelque part. Cherchez les.

Il sourit tendrement, avant de déglutir une larme au coin d'un de ses yeux. Ses lèvres murmurèrent alors :

- Soyez forts. Moi, je vous laisse ici, je m'en vais. Bouffez ce con d'ours.



A côté des quatre précédentes, je commençais à creuser la cinquième tombe.
Petit à petit, en silence, mes amis m'assistèrent.
Bientôt nous fûmes tous là, autour du même trou, creusant sans rien dire. Et rapidement, avant que la nuit ne tombe, nous avions déjà fini.
A plusieurs, encore une fois, nous transportions le corps de Zön, le déposant au fond, puis nous rebouchions le tout.

Alors que tous les autres repartaient, chacun de leur côté, encore choqués, je restais quelques instants à regarder la nouvelle tombe. Je remarquais alors la présence d'une personne à côté de moi. Levant la tête, je vis Jey. Il fixait la terre contenant Zön, lui aussi.
Alors sa voix s'éleva faiblement :

- Telod. Désolé pour tout à l'heure. Vraiment.

Je me retournai et donnai une tape amicale sur l'épaule de Jey, tout en avançant vers le feu.

Prenant un bout de bois, je débutai mon habituelle sculpture. Alors je sentis quelqu'un me toucher le bras.
C'était Sevin. Il tenait un couteau en silex, relativement bien taillé, qu'il me confia :

- Tiens, dit-il, cela te fera certainement un meilleur outil. Je voulais te le donner avant mais.

Et sa voix buta. Je saisissais l'outil, hochant la tête.



Pendant que ma sculpture avançait, les autres s'étaient mis à transporter la carcasse de l'ours. Ils l'amenèrent près du feu, découpant sa peau pour récupérer la chair.

- Telod aura la fourrure. décida Galline qui s'appliquait à dépecer l'animal. C'est lui qui l'a tué.

Les autres semblaient d'accord. Je tournai mes yeux vers eux, haussant les sourcils.

- Non mais c'est bon... disais-je.

- Tu auras la fourrure ! Discute pas putain. ordonna Galline avec fermeté. T'as été héroïque, on a été minables. Alors discute pas.

Je secouai la tête en soupirant.



Mes compères firent cuire la viande au dessus du feu. Jey, qui avait l'appétit coupé, laissa sa part, préférant aller sous un abri. Je mangeai mon bout d'ours sans hésiter, dans le silence général. Mes doigts s'appliquaient à poursuivre ma sculpture.

On entendait une chouette hululer, en haut, sur une branche. Et le vent qui faisait bruire les arbres. L'odeur de viande, restant suspendue en l'air, était âpre. Je gardais mes yeux sur le feu et sur mon œuvre.



- C'était donc ça les petits totems. dit une voix à ma droite.

Je regardai. Il s'agissait de Galline. Les autres étaient partis dormir. Visiblement, encore une fois, elle comptait rester avec moi pour veiller. Cela ne l'avait pas dégoûté la nuit dernière.

- Mh. dis-je.

- Je crois que j'ai compris. Tu sais.

Ma lame dessina une spirale relativement large, suivant les traits du bois.

- Quoi donc ? demandais-je, distant.

- On doit rester soudés à tout prix. C'est ça que tu as en tête. C'est la meilleure manière de se comporter.  

Je pris un temps pour regarder ma gravure.

- Oui. En effet, c'est ce qu'on a à faire.

Elle sourit, faisant ainsi ressortir ses dents pointues, le regard perdu dans le vague.

- Ce qui est con, c'est que Zön c'était le seul, avec toi, en qui j'avais relativement confiance. Mais je ferais un effort. Promis.



La sculpture fut bientôt terminée. Je l'amenais alors sur la tombe de Zön. Elle était pleine de cercles et de spirales, s'agençant pour former des figures abstraites, un peu mystérieuses. Je trouvais le tout joli.



Le lendemain l'atmosphère était encore lourde. D'autant que le soleil frappait fort, et que la température montait, nous épuisait.

Les gens ne se trouvaient pas d'humeur à parler, à rire. Même si certains d'entre eux n'avaient pas beaucoup fréquentés Zön, cela restait choquant de constater que quelqu'un qui était comme nous avait succombé. Ils prenaient leur temps pour le réaliser, pour s'en remettre, comprenant que ça aurait pu être eux.

Nous restions près les uns des autres.

Chacun avec son occupation.

Moi je tentais de fabriquer ce qui pourrait être la forme d'un arc, ne sachant pas vraiment comment m'y prendre pour lui donner une courbe idéale. Mon premier essai fut un échec cuisant.

- Avec un arc, on pourrait chasser facilement, tu as raison. fit remarquer Fadone, qui se mit à commencer la fabrication d'une corde adaptée.

- C'est pas gagné. Je ne sais déjà pas faire le manche, je suis loin d'imaginer comment confectionner des flèches correctes. dis-je avec franchise.



Les autres travaillaient à fortifier les abris, à tenter de les munir de lits plus confortables que le sol à l'aide de plantes, ainsi qu'à fabriquer d'autres outils et couteaux en pierre.

Voyant comme il faisait chaud, nous décidâmes de tenter de manger le reste de l'ours à midi, sachant qu'il allait pourrir très rapidement. Cette fois Jey accepta d'en prendre un peu.



La suite de la journée se passa dans ce même silence et cet air pesant. Le rouge des fleurs brillait à l'éclat, comme jamais, sous le soleil de plomb.
Je me souvins alors de la première fois que j'avais vu la couleur des lieux.

- La Terre Rouge aime le sang. murmurais-je, à moi-même.



Le soir vint, sans incident cette fois. Galline passa derrière-moi, posant sur mes épaules une fourrure brune.

- Je l'ai lavée. Garde la maintenant.

J'hochai la tête en tournant mes yeux vers elle.

Nous étions retournés dans les pommes. La vue de ces fruits commençait à me dégouter profondément. Ayant mangé beaucoup d'ours à midi, je laissais ma part de côté.



En début de nuit je montais la garde avec Sevin. Ce dernier fut très peu bavard.

- Guetteurs. dit-il simplement, une fois.

Alors je levai les yeux, voyant les silhouettes sombres, au loin.
Nous attendions un peu, restant immobiles.
Au bout d'un moment, les formes s'étaient dissipées.



Avec du brouillard, le onzième jour se levait.
Alors, comme à la coutume, nous nous rendions vers le lac, tous ensemble.

- Vous avez vu ? Les fleurs se rétractent lorsqu'il n'y a plus de soleil. Le sol était tellement vert, je ne reconnaissais plus notre clairière. avoua timidement Fadone.

- C'est vrai, c'est assez bizarre. confirmait Jey, ne souriant pas.

Je fronçai les sourcils, regardant autour de moi tout en avançant. Alors je posai une question.

- Où est Baal ?

Les autres regardèrent également alentour. Puis me fixèrent, sans réponse.

- Putain. fis-je, serrant ma lance dans mon poing, en me mettant à courir vers le campement.

Mes compères me suivirent tous avec rapidité, sans broncher.
Les arbres défilaient autour de moi. L'air s'engouffrait dans mes oreilles. Mon souffle s'accélérait, en même temps que mon cœur.  J'avais le regard injecté de colère.

Une fois arrivé, je scrutais l'ensemble du campement en vitesse. Alors je le vis.
Accroupi, près d'une tombe. Creusant à  l'intérieur. Ses bras bougeaient sans méthode, ses pupilles tremblaient.
J'avançais en hâte vers lui, ma lance venant directement se placer en dessous de sa gorge. Le vieil homme déglutit, et stoppa alors tout mouvement. Il leva ses yeux sur les miens. Je vis des larmes à l'intérieur.

Jey, derrière moi, se précipita. Il cria :

- Baal ! Qu'est-ce que tu fous ? Bon sang !

Le grand Baal se leva de toute sa hauteur. Tout en lui était pris de spasmes, même ses cils.
Il se mit à rire, tout en pleurant, reniflant. Je gardais la pointe de mon arme bien collée à sa trachée.

- J'ai notre solution les amis ! Vous savez ! commença le vieil homme.

Je le jugeais de mes pupilles froides. Il continuait, me rendant mon regard.

- Quand je t'ai vu creuser le trou pour Zön, j'ai compris que les autres comportaient des cadavres aussi. Alors.

Je secouai la tête lentement, plissant les paupières. Sa voix prononça les mots que je ne voulais pas entendre :

- Comme les autres, on ne les connait pas... Pour Zön d'accord, on le laisse, mais pour les autres. Ca nous sauvera ! C'est beaucoup de viande, vous savez, c'est important, vous savez ! Il faut y penser ! La nourriture ! Tant de nourriture ! Vous imaginez ?

De grosses larmes coulaient de ses yeux, roulant le long de ses joues, et son sourire était grand. Il semblait réellement heureux. Il continua :

- Nous sommes sauvés mes amis ! Sauvés ! Nous n'avons plus à nous inquiéter, plus jamais. Nous n'avons plus à avoir peur de mourir de faim, nous n'avons plus à craindre de dépérir ! Réjouissez-vous ! Toute cette nourriture est là pour nous ! Soyons en paix, en sécurité, tous ensemble, mes amis !  

- Casse toi d'ici. soufflai-je.

Je regardai ses mains, pleines de terre noire. Ma voix devint un peu plus forte, déterminée, alors que mes yeux colériques revinrent dans les siens :

- Casse, toi, d'ici.

Il ne s'arrêtait pas de pleurer, tout en riant avec douceur. Rien, en lui, ne semblait retourner sur la terre ferme. Je voyais en lui la même folie profonde, insondable, que celle qui avait emplit le crâne des hommes que j'avais croisé, six jours auparavant.

- Oui, vas-t-en. On ne veut plus voir ta tête ici. C'est impardonnable. m'assista Jey, à côté de moi.

Alors je vis les pupilles démentes du vieillard venir vers son ancien compère. Baal semblait commencer à désespérer, il fit alors à l'attention de Sevin :

- Sevin. Mon ami. Nous avons traversé tant d'horreurs ensemble. Toi, toi tu me comprends n'est-ce pas ? Tu sais que j'ai raison. Tu le sais au fond de toi, n'est-ce pas ?

Un temps passa. Le désigné se gratta la gorge, puis dit d'un ton faible :

- Non. Vraiment, non Baal... Là je refuse d'essayer de te comprendre. Pars, maintenant, ne discute pas.

Après un moment de silence interminable, pendant lequel le vieillard pleura encore, Baal fit quelques pas en arrière, se détachant de la pointe de mon arme.
Puis il se retourna avec lenteur, marchant, perdu, les bras ballants. Mes yeux gardaient sa silhouette en vue jusqu'à ce qu'elle s'évanouisse entièrement dans le brouillard, quelque part entre les troncs.

Je soupirai.



Plus tard, alors que la journée se terminait, les gens ayant poursuivi leur activité de la veille, je m'occupais de remettre en place la sculpture de bois, lissant de la paume le sol qui avait été retourné dans la matinée.
Jey s'approcha de moi.

- Puis-je poser une question, Telod ?

- Tu viens de le faire.

- Excuse-moi, mais, qui est enterré ici ?  

Je gardais les yeux sur la petite forme de bois, déglutissant lentement.

- Miosselle. répondis-je simplement.

Il patienta un moment, me laissant en silence un peu.

- Elle était comment ? demanda-t-il avec douceur.

- Elle était humaine. Elle était ma seule camarade. J'avais décidé de la protéger.

Mon regard se brouilla alors, je plaçai ma main sur ma bouche, tout en tirant les lèvres sans joie.

- Un conseil, dis-je, si tu tiens à quelqu'un, ne le quitte jamais. Pas le moindre putain d'instant, tu m'entends ? Pas le moindre instant.







En ce qui vous concerne :

Prénom / pseudo : Sern
Age : 23 ans
À quelle fréquence serez-vous présent(e) sur le forum ?

Surtout pendant les vacances, peu sinon malheureusement

Comment avez-vous découvert le forum (par internet, on s’en doute) ?

Je suis un des trois créateurs du forum, Aikanaro et Dreth étant les deux autres

Avez-vous des remarques à propos du forum ?

Bah euh... Du coup, bah non. Mais les membres qui lisent cette fiche faites des vraies remarques constructives s'il vous plait ! Je fais de mon mieux pour donner l'exemple mais là j'ai une vraie excuse ! Je vous ai à l'œil !






Dreth
Membre
Dreth
Messages : 32

Jour d'éveil : Jour 3
Race : Échoué
Métier : Guérisseur
Groupe : Bosquet d'Aorn
Fiche de présentation :
Journal :
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Lun 28 Déc 2015 - 1:59

Monsieur Telod,

C'est vraiment une belle histoire. Ok elle est tellement grosse que t'as pas pu la faire passer en un seul post, mais ça vaut le coup d'être lu, purée. Et puis c'est cool, en vrai j'ai hâte de conter la légende "Telod c'est tellement un gros lard que sa fiche a explosé la limite de taille de message de forumactif !".

Et puis pour les effrayés qui liraient mon message et pas sa fiche : lisez, bordel. C'est hyper bien et la longueur est finalement complètement naturelle par rapport au contenu.

Bref, c'est un putain d'exemple cette fiche.

Mais ça ne m'étonne pas trop en vérité ! Les admins de Musa' sont des génies !

Tout ceci pour dire que je te valide (y a-t-il vraiment besoin de le dire ?).

Bon je me barre sinon Telod va vraiment me dire de fermer ma gueule.

Salutations distinguées,
Bien cordialement,

Drethos 4, dit "le brave"


Phrases de Telod :

- Laisse les musaraignes couiner.

- Occupe toi à dormir. Tu te lèveras plus tard.




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