Un matin pluvieux se leva sur le bosquet. Et d’ailleurs il avait plu toute la nuit et des flaques d’eau se formaient, rendant les abords du camp boueux et glissants. Ces derniers jours avaient été plus cléments et le groupe commençait à se remettre de la mort d’Aorn. Le temps passait vite dans leurs têtes et les préoccupations se succédaient sans leur laisser trop de temps pour s’attarder sur leurs peines.
La rencontre de Salim et l’arrivée de Merga avaient pesé sur la balance. La pêche ce jour là avait permis de calmer tous les estomacs du groupe en leur offrant leur premier vrai repas. Puis les efforts combinés de Merga à la chasse et de Varl à la pêche avaient permis de garder la faim à distance et la bonne humeur au plus proche.
Dreth, Lana et Harjinni avaient beaucoup travaillé tous les trois, principalement à tailler des os et des branches adaptées pour en faire des armes – quelques lances et poignards de fortune, qui feraient néanmoins toute la différence contre des monstres n’en possédant pas.
Regon lui avait continué de construire les abris du camp, les rendant plus solides et plus à l’épreuve des éléments. C’étaient de simples cabanes de branches, mais avec ses efforts elles prenaient forme et les murs ne laissaient plus passer le vent. Il les avait recouverts d’un mélange de terre et de glaise qui semblait bien tenir – même en cette journée de pluie.
Et enfin Sicte, dont l’état émotionnel inquiétait tout le monde, avait continué de travailler en silence, fabriquant toujours plus de tissu de lin et de fil. Bientôt elle pourrait peut-être remplacer les tuniques de fibre végétales des membres du camp par de vrais habits de lin. Mais elle restait fermée, le visage dur alors qu’il fut un temps pas si lointain où il était perpétuellement souriant. Dreth avait essayé de lui parler mais rien n’avait changé, depuis la mort d’Aorn elle avait sombré dans cet état, et personne ne savait si elle en reviendrait vraiment un jour.
Lorsque Dreth ouvrit les yeux il faisait encore sombre, le jour était levé mais les nuages noirs qui pleuraient dans le ciel imposaient l’obscurité à la vallée. Les gouttes martelaient le toit de la cabane et certaines ruisselaient jusqu’à l’intérieur. Mais l’échoué ne s’attarda pas et sortit de l'abri pour aller jusqu’au lac – pour se laver et boire, comme tous les matins. Il croisa Merga et Sicte qui finissaient leur garde nocturne et se réjouissaient de pouvoir à présent s’abriter et laisser leurs yeux se fermer.
Il arriva à la plage de galets, seul, il s’était habitué à être le premier levé. Les gouttes de pluie dessinaient un petit relief chaotique à la surface du lac, ça avait quelque chose de reposant, et lorsque Dreth se plongea dans l’eau il n’en ressentit presque pas la froideur. Entre la pluie et l’eau du lac il n’y avait presque pas de différence, c’était un sentiment étrange mais pas désagréable.
Il y resta plusieurs instants puis s’inquiéta de ne pas voir Harjinni le rejoindre. C’était son habitude et il ne la concevait pas vraiment comme une femme qui en changeait facilement. Dreth rentra alors au bosquet, évitant le plus possible de marcher dans les flaques de boue. En arrivant au camp il vit Regon agenouillé face à un arbre, secoué de spasmes, il vomissait ses entrailles. Inquiet, le guérisseur s’approcha rapidement et s’accroupit à ses côtés. À en juger par son visage crispé et par les larmes qui le cisaillaient, le bâtisseur souffrait. Une secousse le fit vomir de nouveau. Dreth posa sa main sur son dos et demanda doucement :
«
Qu’est-ce que tu as ? »
«
Je ne sais pas, je me suis réveillé au milieu de la nuit avec un mal de ventre. Je n’ai pas réussi à me rendormir et là ça faisait de longs moments que je me retenais de vomir… »
Répondit l’homme avec difficulté. Dreth le rassura alors :
«
D’accord. Ça devrait aller, je vais essayer de te trouver quelque chose pour calmer la douleur et les vomissements. En attendant essaye de réfléchir, si tu as mangé ou fait quelque chose de particulier, de différent des autres. »
Et il se leva aussitôt. Il se dirigea vers sa cabane pour y récupérer son baluchon – dans lequel il gardait toutes ses plantes et mixtures médicinales. Il croisa l'abri où Harjinni dormait et y jeta un œil, encore intrigué qu’elle ne se soit pas levée. Son intuition était bonne, elle non plus n’allait pas bien, il la découvrit allongée sur le côté, tremblante et les paupières rouges. Il essaya de la secouer et de l’appeler doucement mais n’obtint aucune réaction. À côté d’elle, Sicte s’était couchée comme si de rien n’était. L’échoué ne sut pas trop décider ce qui l’inquiétait le plus en cet instant entre le comportement de Sicte et la santé de Harjinni, mais il garda la tête froide et réveilla la tisserande. Après un regard vers la cime, il expliqua qu’elle n’allait manifestement pas bien du tout et qu’il allait avoir besoin de la cabane pour essayer de lui apporter des soins.
Il ne vit rien dans les yeux vides de Sicte, et elle ne prononça pas un mot alors qu’elle sortait de l’abri, le laissant seul avec les gémissements et les tremblements de la malade. Il posa alors sa main sur son corps et constata qu’elle était brûlante. Il ressortit presque aussitôt, un peu dépassé, ne sachant pas du tout ce qu’elle avait. En allant récupérer ses affaires de guérisseur il passa réveiller Varl et Lana. Devant leurs visages à moitié endormis et un peu inquiets il déclara :
«
Regon et Harjinni sont malades. Je ne sais pas encore vraiment à quel point mais je vais avoir besoin d’aide. »
«
Comment je peux aider ? »
Demanda le gros homme avec empressement, un peu paniqué.
«
Toi tu vas aller pêcher. On n’a presque plus rien à manger et si on veut qu’il se remettent ils auront besoin de nourriture. »
Le visage de Varl mua dans une expression de tristesse. Il se sentait impuissant mais se jura de faire tout ce qu’il pourrait pour rapporter de la nourriture.
«
Et toi Lana tu vas veiller sur eux. Je vais partir à la recherche de plantes qui me manquent dans la plaine. J’ai besoin que tu gardes l’œil ouvert pendant ce temps. Si jamais tu as un problème, réveille Merga et Sicte. »
La voix du guérisseur se faisait dure. Mais étant donnée la situation, sa détermination et sa fermeté étaient plus rassurantes qu’inquiétantes, et Lana acquiesça d’un mouvement de tête. Dreth s’en retourna vers Regon qui n’avait pas bougé d’un pouce. En voyant l’échoué arriver il articula :
«
Non je ne me souviens… »
Il vomit.
«
Aaah… Je ne me souviens de rien en particulier, désolé. »
Dreth sourit devant la politesse extrême de cet homme et lui tendit deux feuilles vertes tirées de sa sacoche.
«
C’est probablement que tu n’as rien fait de particulier alors. Mâche ces feuilles doucement. Avale la sève mais crache la feuille une fois qu’elle est vidée. Ça devrait te calmer un peu. »
Regon se saisit des feuilles, l’air reconnaissant.
«
Harjinni est malade aussi. Je ne sais pas ce qu’elle a et je vais aller chercher plus de plantes dans la plaine. Je reviens vite. »
Et aussitôt le guérisseur s’éloigna, sans pouvoir entendre la voix faible de Regon le remercier. Il s’en retourna vers la cabane de Harjinni pour essayer de comprendre ce qu’elle avait et orienter ses recherches de remèdes. Il s’assit à côté d’elle et posa sa main sur son front, repoussant un peu ses longs cheveux blonds. Elle transpirait beaucoup – et d’ailleurs ils transpiraient tous avec ce temps chaud et humide.
Dans la tête de l’échoué fusaient les hypothèses. Son état pouvait être dû à tellement de choses, et tant qu’elle ne pouvait pas communiquer ce serait difficile de faire un choix. Lana se présenta à l’entrée de l’abri et Dreth lui dit :
«
Essaye de l’isoler du sol trempé du mieux que tu peux s’il te plait, et couvre la le plus possible, avec les fourrures de Merga et Salim par exemple. »
De nouveau elle acquiesça en silence. Dreth avait une confiance totale en cette échouée qu’il considérait comme sa petite sœur. Il ne traina pas et sortit de la cabane, se munit de sa sacoche et d’un de leurs poignards en os de monstre.
Une fois sorti du bosquet il inspira longuement, comme pour se calmer lui-même et faire le ménage dans sa tête, ne garder que l’essentiel. Il se concentra sur ses intuitions d’alchimiste et commença à sillonner la plaine, récupérant toute plante qui lui inspirait – de près ou de loin – un quelconque intérêt pour l’état de son amie.
Se déplacer rapidement était assez pénible avec cette pluie et la boue qui jonchait le sol. Partout où il posait ses pieds il s’enfonçait, même entre les brins d’herbe. Et les roches n’étaient pas vraiment un réconfort tant elles étaient glissantes.
Il s’était bien éloigné du camp, suivant ses intuitions et ignorant les quelques formes noires lointaines qui s’invitaient de temps à autre dans son champ de vision. Aussitôt apparues, aussitôt évanouies, terrifiées. Ces monstres lui évoquaient la crainte, et pourtant quand ils se décidaient à attaquer, il semblait que plus rien ne puisse les arrêter. Il ne comprenait pas vraiment leur comportement, mais leur peur le renvoyait à la sienne, et à force de penser il s’arrêta un moment, soudainement pétrifié par la situation qui pesait sur ses épaules.
Mais il se reprit rapidement, il garderait ses états d’âme pour plus tard, quand ses amis qui avaient besoin de lui en cet instant seraient hors de danger. Et en relevant les yeux il s’arrêta, accroché par une forme humaine et grise, à quatre pattes un peu plus loin contre un buisson à baies. Une jeune femme à la chevelure argentée et détrempée.
Elle semblait mal en point, elle aussi vomissait. Elle était seule et nue au milieu de nulle part. En regardant avec un peu plus d’insistance Dreth nota l’impression négative que lui donnaient les baies du buisson. Il fit le rapprochement avec l’état de la femme et pensa qu’elle s’était certainement réveillée il y avait peu de temps et s’était ruée sur ces baies pour calmer sa faim. Elle venait aussi probablement du lac à en juger par la couleur de sa peau et sa corpulence, se dit-il.
Il ne pouvait pas la laisser là, surtout pas une rescapée du lac. Il ne se l’expliquait toujours pas mais il les considérait comme les siens, et ce dès l’instant où ses yeux se posaient sur un autre échoué.
Le guérisseur se dirigea alors vers l’inconnue et fit connaitre sa présence :
«
Est-ce que ça va ? »
Son ton se voulait rassurant et il ne s’approcha pas trop dans un premier temps, s’accroupissant à une bonne distance pour ne pas effrayer la jeune femme. Il espérait que ses propres cheveux gris et sa peau pâle lui donneraient un air assez familier pour qu’elle lui accorde sa confiance. Certes sa tunique déchirée-raccommodée-ensanglantée , son poignard et son collier d’os lui donnaient un air un peu menaçant mais il ferait son possible pour paraitre inoffensif.
La jeune fille vomissait d’une façon inquiétante, et il remarqua qu’elle saignait d’une entaille profonde à la cuisse. Il ne pouvait décidément pas la laisser seule ici. Il avança alors jusqu’à elle, se mit à sa hauteur et dit d’une voix simple, qui se voulait rassurante :
«
Je m’appelle Dreth, tu as mangé de ces baies pas vrai ? »
Elle était très maigre, très faible et totalement nue. En cet instant il était désolé intérieurement de ne rien avoir à lui donner pour se couvrir. Il fallait qu’il l’emmène au bosquet se dit-il avant de lui demander :
«
Tu ne peux pas rester ici toute seule, je peux t’aider à marcher, tu as quelque part où rentrer ? Si non je peux te guider jusqu’à notre camp. »
Il finit par poser sa main sur le dos de la jeune femme le plus doucement possible. Pour l’encourager à se lever ou à vomir, il ne savait pas trop.
- Hors jeu :
Voilà, pavé introductif, la suite sera plus fluide bien entendu !
Couleur de parole des PNJs si tu veux les faire intervenir par la suite :
Sicte : Fuschia (#92298E)
Varl : Brun gris (#A27C6A)
Harjinni : Cramoisi (#A83639)
Regon : Sienne (#A0522D)
Lana : Sarcelle (#008080)
Merga : #BD813D