Jour 3Un bruit sourd réveilla Néphara en sursaut. Elle s’était endormie quelque part aux alentours de la grotte. Perdue, elle resta prostrée quelques instants, redoutant que le bruit sourd la frappe de nouveau. Le chien avait l’air effrayé lui aussi. Après quelques minutes, ils finirent par se détendre. Quelques grondements se faisaient entendre, mais plus ce son mastodonte qui semblait presque faire trembler la terre. Cependant, Néphara avait l’impression que quelque chose la guettait. Elle se sentait observée, de loin. Quelque chose rodait. Elle ne se sentait pas menacée mais elle n’aimait pas cette sensation. Elle n’aimait pas devenir la proie. Se relevant, elle scruta les alentours. Elle était dans un endroit dégagé, le lac n’était pas loin derrière elle, et une forêt semblait se profiler loin à l’horizon. Elle fit un tour, lentement, sur elle-même, pour trouver d’où venait le regard. Mais elle ne vit rien.
« On devrait avancer, tu ne penses pas? »Son compagnon la regarda et poussa un petit couinement effrayé. Cela conforta Néphara dans sa sensation qu’il fallait bouger, ne pas rester au même endroit à attendre que la chose sorte de sa cachette.
Retournant à la grotte où elle avait posé les quelques os ramassés, elle était sur le point de les ramasser et de partir, quand elle aperçut une petite masse sombre dans le fond de la grotte. Elle se rapprocha et vit qu’il s’agissait d’un petit appendice venant du sol. Il était brun, sentait fort, et avait l’air récupérable. Curieuse, elle le cueilli et le retourna un moment dans ses mains, l’examinant, et cherchant à comprendre ce que c’était. Un champignon. Le portant à son nez, elle le sentit longuement. Il n’avait pas l’air toxique. Le chien à ses pieds semblait lui aussi curieux, et il se redressa sur ses pattes arrière, posant ses pattes avant sur les jambes de Néphara. Elle sourit, et tendit le champignon à son compagnon. Il le renifla sur plusieurs endroits, lui donna un léger coup de langue, semblant confirmer l’innocence du champignon, avant de se remettre sur ses quatre membres. L’Échouée n’avait aucune idée de pourquoi cela lui avait paru une évidence dès qu’elle avait ramassé le champignon, quoi qu’il en soit, elle l’aimait bien et avait envie d’en trouver d’autre. Elle fit signe à son compagnon et ils se mirent en route.
Longeant le lac, Néphara avançait sans se presser. L’air ne la gênait pas, bien qu’elle fut toujours nue. Elle réfléchissait à quoi pourraient bien lui servir ces deux gros os qu’elle avait ramassé. Repensant à cette sensation qu’elle avait ressenti plus tôt, se sentant observée de loin par quelque chose de relativement menaçant, elle se demanda si elle pourrait se défendre. Lorsqu’elle avait attaqué l’homme de la caverne, il n’avait rien pu faire. Elle ne culpabilisait pas de l’avoir mangé, mais elle se sentait désemparée à l’idée d’être à sa place. Elle avait vu sur la carcasse de l’écureuil que certains os étaient fins, et aiguisés… Peut-être qu’elle pourrait affiner ceux qu’elle avait, pour pouvoir piquer la menace si elle l’attaquait? Rassurée à l’idée de pouvoir brandir des os pointus, elle fronça les sourcils lorsqu’elle constata que les deux qu’elle avait ramassé étaient arrondis sur les bouts. Comment pouvait-elle faire pour les rendre pointus?
Néphara avançait, les sourcils froncés, réfléchissant autant qu’elle pouvait pour trouver la solution à son problème. Elle ne regardait plus où elle posait ses pieds nus, et soudain, elle trébucha sur des pierres et s’étala sur le sol. Les mains prises, elle ne put faire autrement que de s’écraser sur les os. L’un d’eux se heurta violemment à ses côtes, lui arrachant un petit cri de douleur. Roulant sur le dos, elle gémit et essaya de regarder l’endroit où elle avait mal. Elle avait l’impression qu’elle avait été frappée violemment à cet endroit. Le champignon qu’elle avait récupéré était écrabouillé, et le chien en profita pour en manger un morceau, avec un petit air content. Elle se mit à rire, et à s’attendrir. Elle avait envie de le prendre dans ses bras et de le caresser. Il émanait une chaleur douce, il était doux et il avait toujours ses petits yeux ravis. Elle était heureuse de l’avoir trouvé.
« Aladar. »Le mot, le nom lui était venu tout seul. Et ce fut comme si le chien savait qu’il avait toujours porté ce nom. Il attrapa l’autre morceau de champignon d’un air joueur et vient s’asseoir à côté de Néphara pour le mâchonner, Néphara qui se redressait difficilement. Elle resta un moment, les bras posés sur ses cuisses, à regarder ses os, puis le chien, Aladar, et à toucher là où elle avait mal. Au bout d’un moment, son regard se figea sur les pierres qui l’avaient faite trébucher. Elle en saisit plusieurs, dans l’espoir d’en trouver une ne serait-ce qu’un peu aiguisée. Elle en trouva une, petite certes, mais pointue. Saisissant l’os le plus petit des deux, afin de préserver la pierre un minimum, elle se mit à frotter la pointe du caillou sur l’extrémité de l’os.
Quelques minutes passèrent, et Néphara poussa un soupir désespéré. Elle arriverait certainement à aiguiser ses deux os, mais ça lui prendrait un temps fou, et elle ne pourrait pas le faire entièrement avec son tout petit caillou. Mais c’était un début.
Il commençait à faire sombre, et un peu frais pour son corps dénudé. Se relevant, une main posée sur ses côtes blessées, elle ramassa ses deux os et son caillou et chercha un endroit où elle pourrait s’installer avec Aladar, pour aiguiser son caillou et puis dormir, sans être à découvert. Elle se dirigea vers quelques arbres, et s’installa contre un tronc, passant la fin de la journée à essayer d’aiguiser son os et caresser la tête douce d’Aladar, jusqu’à ce qu’un sommeil gris l’emporte.
Jour 4Elle avait froid. C’était une sensation terrible. Elle se sentait comme aux prises avec un ennemi invisible et glacial. Pourtant, l’air était simplement frais et humide. Mais Néphara était toujours nue, elle avait dormi dans la vallée, sans rien pour se réchauffer, à part Aladar, qui apportait une chaleur moindre mais non négligeable. L’Échouée avançait difficilement depuis l’aube, serrant contre elle ses os, tout en grelottant. Elle ne savait pas comment ne plus avoir froid, mais elle savait que si elle arrêtait de marcher, elle avait encore plus froid, alors elle continua de marcher, talonnée par Aladar. Elle s’était éloignée du lac, car la pluie suffisait déjà amplement à lui glacer les os, elle n’avait pas besoin du souvenir pénible de cette eau glacée dans laquelle elle s’était éveillée.
Désemparée, elle se rendit compte qu’il pleuvait depuis ses yeux. Elle se sentait légèrement secouée, comme si quelque chose manifestait son mécontentement entre ses côtes. Elle avait toujours mal là où elle s’était cognée, mais là c’était autre chose. Néphara découvrait le désespoir. Elle se sentait si petite dans cette vallée immense et froide, et elle ne savait pas quoi faire. Elle avait l’impression qu’elle allait passer son existence à frotter ses os et son caillou, et à avoir froid, et à avoir faim, car elle avait faim.
Les yeux embués, elle baissa le regard sur Aladar, qui semblait avoir senti son désespoir. Une nouvelle fois, sa langue sortit de sa gueule entre-ouverte comme en un sourire. Heureusement qu’il était là. En seulement quelques secondes, il avait allégé le fardeau naissant dans son cœur, car Néphara n’était pas au bout de ses peines.
Après un long temps de marche sous la pluie froide, Néphara avait l’impression qu’elle s’incarnait en froid. Mais elle continuait d’avancer, sans savoir vraiment où elle allait, ou ce qu’elle espérait trouver. Mais elle finit par trouver quelque chose. Il y avait du bois entassés, des objets sur le sol, un peu plus loin devant elle. Curieuse, elle accéléra le pas pour voir de quoi il s’agissait. Elle ne trouva pas seulement des objets mais aussi un cadavre. Son instinct de survie ne lui laissa pas le temps d’analyser ce qu’elle voyait, elle se rua sur ce qui couvrait le corps. C’était maigre mais elle savait qu’elle serait mieux avec ça sur elle. Il s’agissait d’une matière fine et abîmée, déchirée par endroit qui ne couvrait pas tout le corps de la jeune femme au sol, mais cela suffirait largement. Elle n’avait qu’une hâte, porter ces vêtements, mais l’espace d’un instant, elle ne sut pas comment les enfiler.
Lorsqu’elle fut enfin couverte, elle fut soulagée. Elle resta accroupie un instant à respirer, cherchant à retrouver sa curiosité qui la poussait à continuer son chemin. Au sol il n’y avait pas grand-chose, un grand bâton en bois, quelques pierres dont une, à sa plus grande joie, grande et pointue, qu’elle ramassa promptement, et quelques fleurs et plantes éparpillées, comme si quelque chose avait semé le trouble. Fronçant les sourcils, elle reporta son attention sur la malheureuse qu’elle avait dévêtu. Elle avait des griffures sur le corps, des griffures profondes. En regardant les vêtements, Néphara constata qu’ils étaient déchirés à l’endroit où la femme morte avait ses griffures. Quelque chose, tapi en elle, son instinct, lui dit que c’était la même chose qui l’avait guetté le jour d’avant, qui avait tué la malheureuse.
Néphara déglutit, et observa les fleurs. Elles étaient petites, et sentaient juste, les fleurs. Elle ne sentit pas comme pour le champignon, comme si la fleur était vivante et possédait quelque chose qui la caractérisait. Cependant, elles étaient jolies. Elle les prit, les rassembla, et les posa sur la griffure la plus profonde de la femme, qui se situait sur son ventre. Plus loin, les plantes quant à elles, avaient une odeur intéressante. L’Échouée les examina, les sentit. L’une d’elle sentait le danger, et lorsqu’elle la fit sentir à Aladar, il poussa un petit grognement méfiant. Une autre plante, un genre de bourgeon verdâtre, lui donna envie de l’écraser entre ses doigts. Elle le fit, et une petite pâte lui resta sur les doigts. L’odeur était forte mais elle ne sentait pas le danger. Sans réfléchir, elle posa l’épaisse pâte sur l’endroit où elle s’était cognée, veillant à appliquer tout ce qui lui était resté entre les mains.
Lorsqu’elle eut finit de ramasser les plantes qu’elle voulait emmener, ses os, ses cailloux, elle se rappela lorsqu’elle était tombée, les bras encombrés, et qu’elle n’avait pas pu se rattraper. Elle ne pourrait pas continuer de récupérer des choses et à les porter. Il lui fallait quelque chose pour les contenir et les porter à sa place. Elle jeta un œil aux alentours mais il n’y avait rien qui puisse faire l’affaire. Baissant les yeux sur son pantalon, elle arracha une lanière déjà déchirée, et la noua autour de ses deux os et des quelques plantes. Ainsi, elle pouvait tenir le plus gros os par l’extrémité, et elle avait un bras presque entièrement libre, il lui fallait juste tenir les cailloux de l’autre main. Mais elle sentait que c’était pas durable. Elle imagina un instant Aladar avec des os noués sur son dos, et ça la fit rire, mais ce n’était pas non plus une solution. Revigorée par ses trouvailles, bien que soucieuse des énormes griffures sur le corps, elle reprit sa route, en quête de quelque chose pour porter.
Jour 5Au cinquième jour, Néphara demeura dans un petit bosquet, et s’attela à tailler du mieux qu’elle pouvait son os le plus gros. Malgré sa faim et celle d’Aladar, elle ne fit rien de plus important ce jour-là. Elle trouva quelques fleurs intéressantes dans le bosquet, qu’elle prit plaisir à examiner comme elle l’avait fait jusque-là. Il s’avère aussi que la pâte du bourgeon qu’elle avait posé sur sa blessure, avait atténué un peu la douleur.
Jour 6Depuis de longues minutes, Néphara était accroupie, immobile, partiellement cachée derrière un arbre. Un peu plus loin, devant elle, se trouvait une magnifique créature. Il mangeait de l’herbe, tranquillement. Il avait quatre membres fins, et un pelage qui avait l’air encore plus doux que celui d’Aladar. Elle sentait qu’elle savait ce que c’était mais le nom ne lui revenait pas. Elle avait terriblement envie de s’en approcher mais, elle pressentait qu’il serait craintif, et que peut-être il s’enfuirait. Elle regarda Aladar, lui aussi fixait le bel animal, calmement. Puis, il se mit à trottiner vers lui.
Curieuse de voir deux animaux différents interagir ensemble, Néphara ne le suivit pas dans un premier temps, se contentant d’observer. Très vite, l’animal releva son long cou et sa tête pour observer Aladar. Il ne prit pas la fuite. Lorsque le chien fut à sa portée, il se pencha vers lui pour le sentir. Aladar le renifla également, toujours calmement, comme si lui aussi savait qu’il ne fallait pas l’effrayer.
Un cheval. C’était un cheval. Il était tout seul, il son pelage était noir très foncé. Après avoir fait connaissance avec Aladar, il se remit à brouter. Néphara se lança alors dans sa direction, marchant lentement avec précaution. Elle vit les oreilles du cheval bouger, témoignant du fait qu’il avait senti et entendu, mais il ne releva même pas la tête. Ce n’était pas un cheval craintif, il avait l’air même un peu âgé en fait, ce qui faisait de lui un être calme et tranquille. Lorsque la jeune femme arriva près de lui, elle posa doucement sa main sur son encolure, et inspira longuement. Elle sentait sa chaleur, et sa respiration calme. Il était magnifique. Elle se disait que peut-être il pourrait venir avec elle et Aladar. Elle se sentait si proche des animaux, elle voulait rester là, avec lui et écouter son cœur battre doucement, sans se soucier du reste.
Soudainement, et en même temps, Néphara, Aladar et le cheval relevèrent la tête. Il y avait eu un bruit, un craquement comme quelqu’un qui écrase des brindilles et des feuilles. Fronçant les sourcils, inquiète, elle essaya de sentir ce qui s’approchait. L’odeur lui rappela l’homme de la caverne, son cœur rata un battement et elle sentit son estomac grogner dans son corps. C’était un humain. Il était sur sa gauche. Mais au moment où elle allait se tourner pour essayer de le voir, elle entendit un sifflement strident et avant qu’elle puisse cligner des yeux, le cheval s’effondra sur le sol, gémissant.
Elle écarquilla les yeux, choquée, et sentant une rage démesurée prendre possession d’elle. Baissant les yeux sur la pauvre bête empalée, retroussant ses lèvres, elle se tourna finalement vers l’attaquant. C’était un homme habillé, avec un sac, et une lance. Il avançait d’un pas décidé vers elle.
« Désolé mais je l’avais repéré depuis un moment! » lui lança t-il, comme si rien ne s’était passé.
Néphara resta prostrée, les poings serrés. Elle entendit Aladar aboyer de façon agressive vers l’homme.
« Un bestiau comme ça, ça pourra tenir quelques jours. Je suis prêt à partager. »Elle serra les dents. L’homme la regardait bizarrement, constatant son air choqué et enragé, ses vêtements qui n’en étaient pas vraiment, et semblait méfiant envers le chien. Aladar grogna, les yeux menaçants. Malgré sa rage, Néphara avait le cœur fendu en deux, de savoir que son nouvel ami venait de mourir sous yeux. En réalité, elle ne comprenait pas.
« Pourquoi tu l'as tué?! », elle cria presque ses mots, le cœur au bord des lèvres.
« Bin pour le manger! La nourriture est assez rare comme ça, j’allais pas m’asseoir sur plusieurs jours de bouffe! »Poussant un cri, elle se rua sur lui et le fit tomber. Il se débattit furieusement, elle sentit qu’il avait plus de force qu’elle et qu’elle ne pourra pas le maîtriser. Frénétiquement, elle abattit ses points sur sa poitrine et son visage. Elle ne savait pas si elle avait envie de le tuer, de le manger, elle ne savait pas. Elle avait juste mal et elle était en colère. Les humains mangeaient les animaux? C’était horrible pour elle. Quelque part au fond d’elle, elle sut aussi que quelque chose ne tournait pas rond chez elle. Elle mangeait des humains, pas des animaux. Pourquoi était-elle différente? Mais ces questions, elle ne se les posait pas consciemment.
Furieuse, elle finit par assommer l’homme à force de lui donner des coups de poings. Reprenant son souffle difficilement, elle sentit son estomac la tiraillait. Mais elle avait juste envie de partir. Observant ce qu’il avait sur lui, elle s’empara du sac en cuir grossier qu’il portait autour de sa taille, dedans il n’y avait rien d’intéressant, elle le vida. Néphara se releva, et vit la lance plantée dans le poitrail du cheval. Elle constata avec horreur qu’il respirait encore, péniblement. La lance avait sûrement dû rater son cœur de peu.
Elle était désespérée. Elle ne pouvait pas le laisser comme ça. Des larmes se bousculèrent sur ses yeux, et glissèrent sur ses joues. Elle pleurait pour la première fois. La gorgé nouée, elle s’agenouilla près de son ami. Elle caressa son cou et sa joue, posa fermement son autre main sur la lance.
« Ça va aller… » murmura t-elle.
Elle était hésitante. Elle ne voulait pas qu’il souffre. Retirer la lance allait lui faire mal. Et elle avait peur de ne pas réussir à toucher son cœur après. Comment faire? Sans contrôle sur ce qu’elle ressentait, elle sanglota, sans cesser ses caresses. Il était toujours chaud, sa respiration était encore plus lente. Son seul œil visible, d’un marron terre profond, la regarda, toujours calme. Il bougea la tête et souffla vers elle. Petit à petit, son regard se voilait. Son souffle ralentissait de plus en plus. Son corps se souleva encore, à quelques reprises, et puis au bout de quelques minutes, il ne respirait plus.
Un soulagement s’empara instantanément de Néphara. Il s’était laissé partir. Elle n’aurait pas à le briser d’avantage en retirant la lance. Elle attendit un moment, puis la retira tout de même. Un trou terrible demeurait sur le beau pelage noir du cheval, et le sang coulait. Elle était triste. Regardant la lance, elle se dit une seconde qu’elle pouvait la garder, mais elle n’avait pas envie d’utiliser la lance qui avait tué son ami. Tant pis, elle la laisserait là, quelqu’un la ramasserait sûrement.
Craignant subitement que l’homme ne se réveille et l’attaque, elle reporta son attention sur lui. Elle prit le sac vide, et envisagea un instant de lui prendre son vêtement qu’il avait sur le torse. Mais ça serait trop long, il se réveillerait sûrement. Aladar était resté un peu plus loin, couché, le regard morne.
« Viens Aladar, filons d’ici. » lui dit-elle en faisant un signe de la tête.
Elle retourna vers l’arbre où elle s’était cachée pour observer le cheval, retrouvant ses os, ses cailloux et quelques plantes. Elle mit tout dans le sac, et le passa comme l’homme, en travers de son buste. C’était bien comme ça, elle avait les mains libres. Mais le sac était assez moyen, elle ne devait pas trop le remplir, pour ne pas qu’il se casse ou qu’il soit trop lourd. Lançant un dernier regard à son ami mort et à l’homme, elle se mit à courir vers le nord, à toutes jambes, Aladar sur ses talons.
Jour 6Manger. Aujourd’hui il fallait manger. Emportée par les découvertes, et certains événements, Néphara avait totalement oublié, ignoré, les tiraillements de son estomac. Aladar avait grignoté furtivement depuis qu’ils s’étaient trouvé, mais pas Néphara. Il fallait qu’elle trouve une proie aujourd’hui. Elle aurait dû manger le chasseur, c’était idiot de l’avoir laissé. Mais elle n’aimait pas revenir sur ses pas, elle avait peur ce qu’elle pourrait trouver. Elle n’avait pas oublié la menace qui guettait.
Il faisait frais, et elle marchait depuis un petit moment. Au loin, une forêt se dessinait. Elle avait hâte de l’atteindre, elle se dit qu’elle y verrait des animaux et des plantes. En marchant, elle continuait parfois de tailler son os. Il commençait à ressembler à quelque chose. Il lui faudrait trouver un bâton, pour mettre la pointe au bout, et surtout, de quoi les nouer solidement. Mais elle avait le temps. La menace guettait sûrement mais pour le moment, elle restait passive.
Perdue dans ses pensées, elle faillit marcher sur des feuilles épaisses qui sortaient du sol. Aladar plongea sa truffe dans ce qui semblait être une plante du sol, et renifla longuement. S’accroupissant, elle passa les mains dans les feuilles, et découvrit des petites masses brunes. L’odeur était agréable, et terreuse, c’en était presque appétissant. Elle tira sur une des masses, et la porta à son nez. C’était une patate douce. Comme tout le reste, le nom lui revint instinctivement. Pendant à Aladar qui devait avoir faim malgré ses grignotages, elle tira deux autres patates et les mit dans son sac. Quant à celle qu’elle tenait, elle la trancha avec sa pointe en os, et tendit les deux moitiés à Aladar. Il les lécha et les mangea, content.
Curieuse, Néphara récupéré un morceau, toujours avec sa pointe, et le porta à ses lèvres. Ce n’était pas du tout de la viande, encore moins humaine, mais ça lui donnait un peu faim. Elle la mit dans sa bouche et croqua. Fronçant les sourcils, quelque chose lui dit que c’était peut-être meilleur autrement, mais peu importait. Elle mâcha et avala son morceau, en prenant un deuxième dans la moitié qu’Aladar n’avait pas encore attaqué. Cela lui permettrait de patienter jusqu’à trouver une vraie proie.
Jour 7Au septième jour, Néphara atteint la forêt, plus précisément le nord de la forêt. Assez fatiguée par la marche qu’elle avait abattu durant ces quelques jours, et par la chaleur, elle s’installa à la lisière avec Aladar. Elle affûta encore sa pointe en os, celle-ci lui semblait de plus en plus convenable. Elle réfléchissait à comment l’accrocher solidement à un bâton, bâton qu’elle n’aurait pas de mal à trouver en plein forêt. Elle ne put observer d’animaux ce jour là, seulement quelques oiseaux perchés dans les arbres.
Jour 8Elle avait repéré une proie. Un humain comme elle, une femme. Elle n’avait pas l’air d’être là depuis longtemps, elle portait des guenilles comme elle, et ne portait pas grand-chose sur elle, à part ce qui ressemblait à une arme émoussée et un lapin. Néphara déglutit, l’eau à la bouche, presque à baver. Aladar s’était éloigné, comme la première fois. Il respectait ce moment de chasse, qui n’appartenait qu’à Néphara. Il s’était assis à côté du sac, montant la garde.
Néphara avançait lentement, veillant à faire le moins de bruit possibles. Elle se rappela l’homme de la caverne, qui avait eu l’air gentil et qui voulait juste parler. Mais elle ne voulait pas laisser le temps à cette femme de vouloir faire connaissance ou de se montrer gentille, ni qu’elle prenne la fuite. Il fallait la surprendre totalement, et la tuer rapidement. Elle ne voulait pas faire du mal, elle voulait simplement manger.
La survivante n’avançait pas vite, en fait, elle semblait observer quelque chose. Elle chassait peut-être elle aussi. L’instinct de Néphara se fit pressant. La femme ne se méfiait pas, elle était concentrée sur sa propre proie. C’était le moment où jamais. Faisant quelques grands pas pour se rapprocher le plus possible, l’Échouée se prépara à bondir. Elle inspira, à seulement quelques mètres de la femme, puis bondit, et sauta comme elle le faisait à chaque fois, dans le dos de sa proie. Celle-ci poussa un cri étouffé, avant de s’écrouler sur le ventre.
Néphara saisit sa nuque et la tordit violemment. C’était le moyen le plus rapide qu’elle avait trouvé pour qu’elle ne souffre pas et qu’elle ne comprenne pas ce qui lui arrive. Elle n’identifiait pas clairement cette petite pointe de culpabilité en elle. Elle ne culpabilisait pas de manger, mais elle n’aimait pas la souffrance. Elle ne voulait pas devoir faire face au désir de vivre des gens, ni être confrontée à leur douleur, comme elle l’avait été avec le cheval.
Ne s’attaquant pas au cou directement, elle recula et mordit dans la cuisse. Alors, encore une fois, ses yeux basculèrent, la forêt se renversa, et le gris envahit son regard…
MusiqueUne forêt. Une immense forêt, avec des arbres immenses et aux feuilles longues et épaisses. Il faisait sombre, la lune était haute dans le ciel. Elle éclairait la forêt, de sa lumière pâle et bleue. On entendait des bruissements au loin. La cime des arbres étaient secouées vivement, comme si quelque chose d’immense se frayait un passage. Et c’était le cas. Soudainement, des êtres géants percèrent les feuillages. Ils étaient gigantesques, mais frêles comme des bâtons de bois. Comme de fins petits os dansant au clair de lune. Sur leur visage squelettique se dessinait une expression de haine et de violence. Ils allaient vite, du haut de leur jambes immenses, fines comme des brindilles. Ils poursuivaient quelque chose, ou quelqu’un.
Plus au devant, dans la forêt, au sol, une femme courrait. Elle n’avait jamais couru aussi vite. Elle entendait le bruissement des arbres derrière elle, les pas lourds de ces brindilles géantes qui la poursuivaient. Son souffle était court, mais elle ne ralentissait pas. Elle se ruait à travers les bois, évitant miraculeusement les troncs épais et les racines dépassant du sol. Sans regarder derrière elle, elle espérait les semer. Mais elle fonçait droit vers la fatalité. Le sol devient friable, comme si elle approchait… d’un trou. Essayant de ralentir, elle dérapa et atterrit à la limite d’un profond ravin donnant sur le vide absolu, le fond était bien trop loin pour le voir. Se tournant, elle vit les gueules des brindilles foncer droit sur elles, pleines de dents et de monstres serpentant. Un cri, et elle disparut.
Les yeux de Néphara se remirent en place. Mais elle avait encore le regard dans le vague, perdue dans sa vision… Elle sentait encore, les sensations, les bruits, elle voyait encore la lune toute haute et les brindilles géantes. Un frisson saisit toute son épiderme, la faisant reprendre pleinement conscience de son esprit et son corps. Elle mâchait encore. Elle constata qu’elle n’avait pas dévoré tout le corps comme la fois précédente. Il restait encore de la chair. Elle se rendit compte également que la lumière avait faibli depuis le moment où elle avait attaqué. Passait-elle autant de temps à manger? Il semblait que la nuit allait tomber bientôt soudainement…
Repensant aux brindilles géants, elle prit subitement peur. Cette nuit subite serait-elle l’annonce de leur arrivée? Oubliant ce qui lui restait à manger, elle se releva rapidement et rejoignit Aladar, prenant son sac à la va-vite. Elle entendit alors, des bruits de pas non loin et des voix. Cela la rassura un peu, les brindilles géantes ne parlaient pas. Elles ne pouvaient pas, elles n’avaient pas de voix.
« Lena?! Lena où es-tu?! » cria l’une des voix, proche.
Sans savoir comment réagir, l’Échouée resta un moment sans bouger, comme figée. Elle avait une jambe en avant comme si elle allait détaler à toute allure mais elle ne sut quoi faire.
« Elle est là! Len… Putain de bordel quelle horreur! »« Elle est morte? » demanda une voix féminine.
« Oui mais regardez pas regardez pas… Quelque chose l’a à moitié bouffé, merde Lena… putain! »Le visage de Néphara se décomposa. Elle sentit dans la voix masculine le même désespoir qu’elle lorsqu’elle avait vu le cheval mourir. Bientôt, elle comprit qu’elle serait le danger à éliminer, le danger à qui on en voudrait d’avoir fait du mal. Elle avait peur. Au moment où elle se mit à courir aussi vite qu’elle pouvait, elle entendit la voix la héler. Ils l’avaient vu.
« Sale monstre, reviens! » hurla l’homme.
« Venez! »Voilà que sa vision devenait réelle. Ils n’étaient peut-être pas des brindilles, mais ils la poursuivaient, et voulaient venger leur amie. Néphara ne devait pas s’arrêter. Elle fonça à travers la forêt, Aladar sur ses talons, mais elle prit soudain peur de le perdre.
« Viens là mon grand viens » lui dit-elle en tendant les bras.
Agilement, Aladar sauta dans ses bras, et elle reprit sa course. Il n’était pas lourd, elle pouvait tenir. Si elle devait se faire attraper, elle pourrait le lâcher et lui permettre de fuir à toutes pattes. Elle l’aimait tellement, il n’y a que lui qui comptait pour elle. Ce petit chien aux yeux plein de curiosités et de tendresse. Il était le premier être qu’elle avait vu, dans cette vallée meurtrie et inquiétante. Elle ne voulait jamais être séparée de lui.
Ces pensées la motivèrent, elle restait concentrée sur son chemin pour ne pas tomber. Une douleur fulgurante la toucha au crâne. Puis une seconde dans le dos. Ils lançaient des pierres, ou quelque chose de dur mais assez léger pour voler. Jetant un rapide coup d’œil derrière elle, elle constata horrifiée que le groupe de trois était juste derrière elle. Deux hommes et une femme. Ils avaient deux armes, de fortune, mais sûrement plus efficaces qu’une pointe en os ridicule. Néphara ne savait pas quoi faire. Elle ne pourrait jamais les tuer tous les trois pour s’en sortir, elle avait peur pour Aladar, et pour elle. Elle ne pouvait pas les semer non plus…
En un déchirement dans son cœur, elle embrassa la tête d’Aladar et le lança sans trop de force pour qu’il puisse fuir à toute allure.
« Fonce mon grand je te rejoins! Cours! »Il mit quelques secondes à partir, et aboya en directement de Néphara. Celle-ci savait ce que cet aboiement voulait dire. Il voulait dire qu’Aladar l’attendrait. Il fallait qu’elle trouve un moyen d’échapper à ses poursuivants.
Mais lancer Aladar sans le blesser l’avait faite ralentir. Ils l’avaient rattrapé. Elle le comprit quand une lame traversa son épaule. Néphara cria et tomba à genoux. La lame se retira, lui arrachant un nouveau cri. Se laissant tomber, elle parvient à se tourner pour atterrir sur le dos, et tenta dans la panique de se saisir de sa pointe en os et d’un caillou. C’était bien maigre comme moyen de défense mais elle devait essayer.
« Le monde est pas déjà assez dingue, en plus on doit faire attention de pas se faire bouffer par des tarées comme toi maintenant! » lui hurla un des hommes.
Elle était perdue. Une seule chose tambourinait dans son esprit. Fuir, s’en sortir, fuir. L’instinct de survie le plus brut qui soit. Mais le groupe eut un moment de faiblesse, il reprenait son souffle. Néphara profita de ce moment pour reculer frénétiquement en rampant à moitié, elle s’empara frénétiquement de son os taillé et chercha dans le sac une des plantes qui avait fait grogner Aladar et dont l’odeur avait fait penser à Néphara qu’elle était mauvaise. Elle ne réfléchissait plus consciemment, elle essayait simplement d’optimiser sa défense. Elle frotta l’herbe sur la pointe tandis que les autres se parlaient. Son épaule lui faisait atrocement mal.
Pourquoi parlaient-ils? Ils étaient là pour la tuer non? Tandis qu’elle réduisait la plante en bouillie contre l’os, elle entendit :
« Si on la tue, on devient des animaux comme elle. » dit la femme.
« Elle a mangé Lena putain! C’est un danger, pour nous et pour tout le monde! » cria l’homme qui lui avait crié dessus juste avant.
« Il a raison, autant l’achever maintenant, avant qu’il lui prenne l’idée de nous manger à nous aussi… » dit l’autre.
« Tu l’as pas loupé avec ta lance, elle tiendra pas deux jours avec cette blessure. »« Oui… Vous avez raison… » Néphara, agenouillée près de son sac, la main en avant avec sa pointe, était restée figée d’incompréhension. Elle avait l’impression de découvrir un monde. Le monde des humains. Elle ne comprenait pas vraiment ce qu’il se passait. Elle avait cru comprendre qu’ils avaient décidé de la tuer, car elle était blessée de toutes façons. Comme elle, avait voulu abréger les souffrances du cheval. Elle fronça les sourcils. Elle voulait se relever mais sa blessure la paralysait, la douleur était terrible.
Une panique fulgurante s’empara d’elle, et les voyant approcher, avec la lance et le couteau, elle poussa un cri désespéré. Elle essaya de se hisser avec son genou mais ne put achever son geste, son épaule la faisait trop souffrir. Gémissant, à la fois de douleur et d’impuissance, elle essaya de reculer mais tomba de nouveau au sol.
Lorsque l’homme se pencha pour la transpercer de nouveau, un petit cri en elle réveilla son instinct. En hurlant, elle lança son bras et planta la pointe en os dans l’œil de l’homme. A son tour il hurla, et tomba sur le côté, évitant de justesse la lance, qui se planta dans le haut de son vêtement. En se dégageant, elle le perdit. Elle attrapa son sac et parvint à ramper encore un peu plus loin. Il fallait qu’elle réussisse à se relever.
Elle entendit alors un aboiement lointain. C’était Aladar. Il l’appelait. Elle devait se relever, et partir. Il fallait qu’elle se relève. Jetant un dernier coup d’œil derrière elle, elle vit que les deux autres étaient occupés à essayer de soigner leur ami. Elle pouvait partir. Elle devait juste, se, relever.
Non sans crier à cause de son épaule, elle finit par se remettre sur ses deux jambes, elle couru autant qu’elle pu pour se rapprocher d’Aladar. Elle ne sut pas si elle avait parcouru beaucoup de forêt, mais elle finit par s’écrouler contre un arbre, et le noir envahit ses yeux.
Jour 9Noir.
Jour 10Une douleur atroce, et chaude. Puis, le noir.
MusiqueJour 11Fallait-il se réveiller? Néphara avait reprit conscience. Mais elle n’avait pas ouvert les yeux, elle n’osait pas. Que lui était-il arrivé, après la fuite? Elle avait mal, elle se sentait fatiguée, elle avait faim. Peut-être qu’elle était morte? Et que la mort était tout ce noir. Mais elle entendait du bruit autour d’elle. Elle entendait quelqu’un respirer, elle entendait parfois la brise… Mais fallait-il vraiment se réveiller? Elle ne savait pas vraiment si elle avait reprit conscience depuis longtemps. Mais elle entendit bientôt un petit souffle frénétique, comme joyeux, qu’elle reconnut immédiatement. Elle sentit son museau humide sur sa joue, cherchant à la réveiller. Il avait senti qu’elle était consciente.
Alors, oubliant ses questionnements, elle ouvrit les yeux volontiers et fut ravie de voir Aladar tourner sur lui-même de joie. Elle se mit à rire spontanément. Son petit chien, son ami. Il l’avait attendu, il n’était pas parti. Il était là, en vie, sain et sauf, et tellement joyeux que sa joie envahissait aussi Néphara.
« Je suis tellement contente de te voir mon grand! »Après quelques témoignages de tendresse, une douleur fulgurante à l’épaule la ramena à la réalité. Elle tourna le regard vers la dite épaule et y vit du tissu sale, et teinté de rouge. Néphara fronça les sourcils. Elle n’avait aucune idée de ce que c’était. Mais les blessures ne devenaient pas comme ça, si? Soudain, elle aperçut l’inconnu debout à côté d’elle. Elle eut un vif mouvement de recul et était sur le point d’essayer de fuir, quand une voix douce brisa le silence.
« Du calme, du calme… Je ne te veux pas de mal… » C’était un homme, qui parlait doucement. Il était grand et assez mince, avec des cheveux noirs qui tombaient dans sa nuque. Elle déglutit, et relâcha son corps. Elle ne se sentait pas menacée. Il avait des yeux couleur terre. Elle se demanda s’il s’était réveillé dans un lac lui aussi.
« Tu étais gravement blessée à l’épaule, quand je t’ai trouvé. » lui expliqua t-il calmement.
« Enfin en fait, c’est d’abord ton chien qui m’a trouvé, et je l’ai suivi jusqu’à toi. » Il tourna alors le regard vers Aladar, il semblait attendri.
« Il a veillé sur toi sans relâche pendant deux jours, haha, il t’aime beaucoup! »Néphara découvrait une toute nouvelle émotion. Elle se sentait bien et rassurée par sa présence. Elle n’avait pu empêcher sa bouche de s’ouvrir de stupéfaction, elle ne comprenait pas vraiment ce qui lui arrivait. Elle n’avait absolument aucune envie de le manger, elle ne le sentait pas comme elle sentait les autres humains. Elle le sentait comme elle sentait Aladar, ou le cheval. Elle entendait sa respiration, elle imaginait le son des battements de son cœur, et elle avait juste envie de s’allonger à côté de lui pour l’écouter.
« Je t’ai soigné du mieux que j’ai pu, j’ai cautérisé ta plaie, je suis désolée, ça t’a tellement fait mal que tu es sortie de ta torpeur quelques instants… Mais au moins ça ne s’infectera pas. »Il parlait avec bienveillance mais il se rendait compte que Néphara n’était pas comme les autres. Elle l’écoutait mais il sentait qu’elle ne saisissait pas tout. Cela ne le découragea pas pour autant.
« Tu te souviens du moment où tu t’es éveillée? » demanda t-il. Elle hocha vivement la tête pour répondre par l’affirmative.
« Dans une grotte? » Néphara déglutit et inspira discrètement.
« Dans.. le lac là-bas. », elle tendit son bras approximativement pour exprimer le fait qu’il était loin et qu’on le voyait pas.
L’homme lui sourit gentiment.
« Moi je m’appelle Cécil, et toi, tu te souviens de ton nom? » A ce moment là, elle réalisé qu’elle n’avait jamais entendu un autre nom que le sien ou celui d’Aladar, et qu’elle n’avait jamais donné le sien à d’autres. Peut-être que les prénoms servaient à ça parfois. A se connaître, à se reconnaître… Certaines choses lui revenaient petit à petit.
« Néphara »Jour 12Cécil était très gentil. Il lui avait expliqué beaucoup de choses. Il lui avait dit que les humains comme elle et lui s’éveillaient dans des endroits différents de la vallée. Lui, s’était éveillé dans une grotte. Celui l’effraya, car elle se rappela ce qui avait attendu l’homme de la grotte qu’elle avait croisé. Il aurait pu être Cécil… Cette pensée lui avait fait froid dans le dos. Il lui avait également expliqué que parfois, les humains pouvaient être menaçants, et blesser les autres. Elle n’osa pas lui dire pourquoi elle avait été blessée… Cécil lui parla également de la présence de monstres, que lui n’avait vu que de loin, mais qui avaient tué beaucoup de gens dans la vallée.
Petit à petit, l’Échouée prenait pleinement conscience du monde qui l’entourait. Mais quelque chose lui échappait toujours. Pourquoi elle n’était pas comme les autres. Pourquoi n’avait-elle d’appétit que pour les humains, et pas les animaux?
Cécil savait faire des choses. Il savait guérir, comme il l’avait fait pour son épaule, et il savait un peu cuisiner. Il avait « fait cuire » les patates douces que Néphara avait gardé dans son sac. Elle ne se rappelait pas qu’on pouvait préparer la nourriture sur le feu. Elle n’en avait pas besoin, mais cela lui paru comme un souvenir un peu effacé mais bien présent dans son esprit. C’était meilleur, cuit, finalement. Mais Néphara fut assez rapidement écœurée. La capacité de son estomac a ingérer autre chose de la chair humaine était assez limitée pour le moment.
Elle lui montra l’os qu’elle avait commencé à tailler. Elle lui parla également de la plante qu’elle avait mise dessus, persuadée de ses effets néfastes sur le corps, et lui montra les autres plantes qu’elle avait. Il en reconnut une, et lui dit que c’était une plante qui pouvait servir pour soigner les petites plaies. Elle était contente.
Le reste de la journée, elle reprit son travail sur sa pointe en os, en écoutant encore un peu Cécil, qui lui expliquait tout ce qu’il savait sur le monde dans lequel ils évoluaient. Elle ne comprenait pas tout, mais rien que de l’écouter, elle se sentait rassurée et prête à tout affronter. Aladar était calme, il se reposait, et il avait pu manger un peu de viande que Cécil avait gardé. Néphara n’en avait pas voulu, ils avaient partagé à deux un petit lapin.
Jour 13Néphara devait laisser du temps à son épaule pour qu’elle cicatrise correctement. De ce fait, elle passa ce treizième jour à parfaire sa pointe en os, et elle passa l’après-midi à cueillir des plantes avec Cécil. Ils apprenaient à découvrir ensemble les plantes bonnes et les plantes néfastes, aidés par Aladar, qui disposait comme Néphara, d’un flair infaillible.
Jour 14Après avoir nettoyé à nouveau sa plaie, Cécil appliqua un petit baume sur l’épaule de Néphara. Pas d’infection à l’horizon, la plaie semblait cicatriser tranquillement. Ils passèrent un nouveau jour à étudier la flore environnante, trouvant même un petit plan de fraises isolé. Les fraises n’étaient pas très bonnes, mais Néphara eut l’idée de planter à côté quelques graines du plant déjà fleuri, et Cécil récupéra les fraises comme provisions, il n’y en avait que 5, mais c’était déjà mieux que rien.
Jour 15Néphara se réveilla moite. Il faisait déjà jour, et surtout, il faisait chaud. Et quelque chose n’allait pas. Un frisson parcourut son échine, lui rappelant la désagréable sensation qu’elle avait ressenti, quand la menace guettait pour la première fois. Elle était là de nouveau. Et plus proche. Elle ne se rapprochait pas, elle semblait un peu lointaine et immobile, mais elle était bien là.
« Cécil? »Le jeune homme était occupé un peu plus loin de l’endroit où il dormait. Il se retourna vers elle, le regard inquiet.
« Tu le sens toi aussi? » lui demanda t-il.
« Oui… »« On doit partir. »Il la rejoignit, et ils rassemblèrent leurs affaires. Néphara avait pu se recouvrir, grâce à un tissu avec des trous exprès pour la tête et les bras, que Cécil lui avait donné. Il lui avait expliqué qu’il avait fait partie d’un petit groupe avec un tisserand, mais qu’ils étaient tous morts aux mains des monstres il y avait quelques jours de cela. Ainsi, Néphara était couverte, et elle avait un sac un peu plus grand, en cuir toujours assez grossier, Cécil en avait également un. Désormais dotée de deux sac, elle rangea le petit dans le grand, ainsi que sa pointe désormais prête, quelques herbes qu’elle pensait pouvoir utiliser plus tard, et un caillou écharpé grâce auquel elle avait pu perfectionner sa pointe. Elle n’avait plus de provisions pour Aladar, si ce n’était les fraises ramassées la veille, mais elle ignorait si les chiens aimaient les fruits.
Lorsqu’ils furent prêt à partir vers le sud de la forêt, ils les virent. Des choses informes, et noirs, au loin. Néphara écarquilla les yeux, ils étaient horribles. Monstrueux et pourtant terriblement humains. Fronçant les sourcils, elle se rendit compte qu’elle entendait quelque chose, venant d’eux. Comme s’ils murmuraient. Mais elle ne comprenait pas ce qu’ils disaient.
« Donne ta main, il faut vite s’éloigner d’ici. » lui intima Cécil, inquiet.
« Je… je te suis mais je dois porter Aladar, j’ai peur. »Il sourit faiblement, comme attendri. Il la regarda se baisser pour attraper Aladar et le serrer contre elle.
« D’accord, cours devant moi alors, et je te suis, d’accord? »« D’accord… »Et ils se mirent à courir. Les monstres n’avaient pas l’air d’attaquer, mais Néphara comprenait ce besoin de s’en éloigner le plus possible, et surtout, de ne plus pouvoir les voir. Ils étaient horribles. Pas simplement leur corps et leur apparence, mais ce qu’ils étaient au plus profond d’eux. Elle commençait à comprendre la noirceur dont regorgeait la vallée. Une noirceur terrible, si terrible qu’elle semblait dégouliner de ces créatures étranges et monstrueuses. Elle avait peur, elle aussi. Elle savait que tous les autres humains avaient peur des monstres, et elle était rassurée de ressentir cette peur elle aussi.
Ils courraient depuis plusieurs minutes, pas trop vite, car Cécil n’avait pas les mêmes capacités physiques que Néphara pour la course. Le bruit de leurs pas dans les feuilles envahissaient l’air, ainsi que leur souffle en effort. Néphara mit un certain temps à s’apercevoir que le bruit s’était réduit soudainement. Redoutant ce qu’elle verrait en se retournant, elle ralentit, et se retourna, mais elle ne vit rien.
« Cécil?! » cria t-elle.
Elle regarda au sol loin devant elle pour l’apercevoir mais il n’y avait rien.
« Cécil! Reviens! », un sanglot s’étouffa dans sa gorge.
Elle ne pouvait pas continuer sa route sans savoir où il était. Mais elle détestait l’idée de rebrousser chemin. Elle voyait encore tous ces monstres noirs qui guettaient, et elle était terrifiée. Mais elle devait le retrouver. Gardant toujours Aladar serré contre elle, elle fit le chemin à l’envers.
Elle retrouva Cécil. Inerte, sur le sol. Elle reconnut instantanément les énormes griffures qu’elle avait vu sur le corps d’une femme. Aladar aboya, et elle se mit à pleurer rapidement. Le chien sauta de ses bras et renifla les cheveux et le visage de Cécil, poussant des petits couinements, comme pour le convaincre de rouvrir les yeux.
« Nnnoon… », gémit Néphara, comme un râle, une manifestation de douleur sans rien d’autre.
Elle tomba à genoux à côté de lui, et posa sa tête sur son torse, en sanglotant. C’est comme si elle avait perdu Aladar. Il n’était pas avec elle depuis son éveil, mais il était gentil et rassurant, et il l’avait aidé, il l’avait soigné et aidé à comprendre plein de choses. Elle avait envie de rester avec lui pour ne plus avoir peur des monstres et cueillir des plantes. Elle ne voulait pas le laisser comme elle avait laissé le cheval.
« Allez réveille toi! », pleura t-elle en secouant doucement ses épaules.
Mais Cécil demeura.
Jour 16Le cœur lourd, Néphara avait récupéré le sac de Cécil. Elle avait déposé, toutes les plantes et les fleurs qu’il avait ramassé ensemble, sur sa poitrine et autour de lui. Comme s’il était lui aussi une fleur, paisible et prospérant malgré l’adversité. Elle avait envie de le cacher, pour que personne de le blesse plus, ne l’abîme… Pour oublier que son corps allait dépérir et disparaître, mais elle ne savait pas comment faire. Alors, elle avait récupéré des feuilles, beaucoup de feuilles, et de la terre, et avait prit un long moment de la journée pour le recouvrir au maximum.
Lorsqu’il fut à peu près enseveli, elle reprit Aladar dans ses bras, incapable de se séparer de lui, et reprit la route dans la torpeur de cette journée. Elle ne put empêcher une pensée atroce de s’insinuer dans son esprit.
Et si elle lui avait tenu la main?
Jour 17Une chose étrange tombait du ciel aujourd’hui. C’était blanc et froid. Il faisait frais, mais tout semblait se figer petit à petit par ces petites boules blanches qui tombaient.
De la neige. Malgré le remord insidieux et perforant qui lui dévorait l’esprit, Néphara pensa au corps de Cécil, et à la neige, qui le recouvrirait peut-être d’avantage. Cela la soulagea. Elle errait dans la forêt depuis qu’elle l’avait quitté. Elle avait lâché un peu Aladar, fatiguée, mais elle ne le quittait pas des yeux, et restait toujours un peu derrière lui, pour ne pas le perdre. Elle ne savait pas ce qu’était la culpabilité, mais elle se dévorait elle-même de l’intérieur, de regrets et de mords, de ne pas avoir prit la main de Cécil.
Le reste n’avait plus d’importance, pour le moment. Tout ce qui lui importait c’était de maintenir Aladar en vie, et de lui donner à manger. Il avait mangé une fraise avec un certain appétit, les chiens semblaient pouvoir manger de tout, tant que ce n’était pas toxique. C’était un avantage, elle aurait moins de difficultés à le nourrir. De plus, il savait chasser de petits animaux, comme il avait chassé l’écureuil.
Malgré son apathie, la vue d’un long bâton pas trop épais lui rappela sa pointe en os. Le bâton était propice à une lance, elle le ramassa. Arrachant les petites brindilles, elle pouvait le tenir sans se blesser la main, et en le tenant fermement. Elle pourrait facilement accrocher son os pointu au bout. Restait à trouver comment le fixer. Cela l’encouragea un peu. Après tout, Aladar avait besoin d’être protégé lui aussi, des monstres ou d’autres choses. Elle garda le bâton en main et continua sa route d’un pas lent, cherchant une idée pour finaliser sa lance.
Jour 18Le temps était devenu glacial. Faiblement vêtue, Néphara grelottait. Aladar se tenait près d’elle, lui apportant un peu de chaleur. Mais l’Échouée était occupée, et cela lui faisait oublier un peu la froid. Elle avait trouvé dans un arbre, une sorte de patte un peu gluante, qui collait aux doigts. C’était jaune orangé, et ça sentait bon la forêt. Mais surtout, c’était collant. Elle se demandait si ça lui permettrait de faire tenir son os taillé sur son bâton. Ainsi, elle était en train de faire tourner longuement le bout du bâton dans la patte gluante, pour qu’elle s’imprègne bien au bois. Après quelques instants, elle fit de même avec le côté plat de son os. Puis, elle joignit ces deux bouts, se dit qu’avec la patte sur le bâton, sur l’os, mélangés, ça pouvait tenir. Elle garda les deux parties appuyées l’une contre l’autre un moment, avec que la patte agisse et colle le tout. Les minutes passèrent, elle lâcha l’os, et fut ravie de constater qu’il tenait. Hésitante, elle secoua le bâton légèrement, mais l’os ne bougea pas. Elle se secoua plus fort, il ne bougea pas non plus.
Elle craignait cependant que l’os ne tienne plus si elle frappait quelque chose. Par précaution, elle passa encore la jointure entre le bâton et l’os dans la patte, qui était en réalité de la résine assez vieille. Mais elle n’osa pas frapper le tronc de l’arbre avec sa lance de fortune, de peur de briser ses efforts.
Elle lança un regard un peu relevé de joie à Aladar.
« J’ai réussi tu as vu! », en réponse, le chien aboya joyeusement.
* * *
L’après midi, Néphara retrouva son désir de découvrir de nouvelles plantes, elle reprit donc la cueillette. La moindre activité la réchauffait un minimum, et par ce froid glacial, rien n’était de trop. Elle trouva quelques fleurs intéressantes, mais elle constata que certaines avec des engelures à cause du froid, ce qui paralysait leurs effets, parfois, elle ne pouvait même pas le sentir. Elle récupéré cependant les quelques plantes intactes, dont une qu’Aladar avait tout de suite repéré, qui sentait la mort et la douleur. Le reste de la journée passa, la nuit fut difficile par ce froid, que Néphara passa recroquevillée sur elle même, blottie contre Aladar, pour avoir un peu plus chaud.
MusiqueJour 19« Sois maudite, sois maudite, sois maudite » répétait une voix.
Néphara était gelée. Elle se réveilla en grelottant, troublée par cette voix, qui répétait la même phrase inlassablement. Elle avait l’impression de l’avoir entendu même dans son sommeil. Il était là depuis un moment.
« Sois maudite, sois maudite, sois maudite! »Ouvrant les yeux, elle chercha d’où venait la voix. Aladar lui aussi était intrigué, et avait la truffe en l’air pour sentir quelque chose.
« Qui est là? » demanda Néphara, elle espérait attirer l’attention de la voix. Elle se demandait pourquoi elle répétait toujours la même chose.
Une silhouette se dessina alors derrière un arbre, qui semblait briller parfois à cause du froid. Un homme apparut, il était très maigre et avait une affreuse griffure en plein sur le visage. Elle saignait, et lui barrait totalement le faciès. Il avait le regard comme fou, qui regardait partout, et il continuait de répéter inlassablement…
« Sois maudite, sois maudite, sois maudite! »Ses cheveux noirs étaient très longs, comme les siens, et ils glissaient sur son visage blessé. Il titubait un peu, et semblait chercher quelque chose. Néphara avait comprit qu’il ne s’adressait pas à elle. Elle ignorait cependant si lui avait comprit qu’elle était là.
« Je veux voir le soleil, tu comprends? Il a disparu… A cause d’elle! »Il s’était tourné vers elle. Sa voix était bouleversée maintenant. Il semblait souffrir, pas seulement de sa blessure, mais dans son corps aussi. Il était humain tout comme elle, il n’avait rien de monstre, mais il était perdu. Quelque chose, au plus profond d’elle, le lui dit. Il était comme un animal blessé, plus personne ne pouvait rien pour lui. Si sa blessure ne le tuait pas, la douleur qui enflammait son esprit et son cœur, le ferait.
Il se mit soudain à pleurer, toutes les larmes de son cœur. Secoué par de violents sanglots.
« Je veux juste voir le soleil.. le soleil… »Le visage de Néphara se figea dans la tristesse. Aladar s’était couchée, il soupirait, il ne savait pas quoi faire. Cet homme était tellement détruit, et bouleversé, que sa tristesse s’échappait de lui. Comme des liens, comme une odeur. Elle était écrasante et terrifiante. Néphara, qui était assise depuis tout ce temps, se releva, et se rapprocha de l’homme, prenant discrètement sa lance dans sa main.
Il pleurait toujours, et il répétait qu’il voulait voir le soleil. Mais c’était trop à supporter pour Néphara. Elle devait mettre fin à cette douleur, à cette fin inexorable. Elle le regarda, un moment, dans les yeux, mais ses yeux à lui ne voyaient plus. Ils tournaient frénétiquement, cherchant sûrement son soleil. Mais l’homme qui l’avait été n’existait plus.
D’un geste sec et aussi fort qu’elle le pouvait, elle planta la pointe de sa lance à l’endroit où elle entendait battre le cœur des humains. En une seconde, l’homme s’écroula, inerte.
Lâchant sa lance, Néphara s’agenouilla lentement. Elle avait envie de comprendre, de savoir, d’où venait ce malheur perceptible et presque palpable. Elle voulait comprendre, elle voulait savoir, comme Cécil lui avait apprit des choses, et fait comprendre d’autres.
Calmement, sans sauvagerie aucune, comme dans un profond respect, elle ouvrit sa bouche et planta ses dents dans le cou de l’homme sans soleil…
Elle ne vit rien.
En ce qui vous concerne :Prénom/Pseudo : Shenyan, ou Néphara tout bêtement ^^
Âge : 20 années d'éveil... Quoi c'est pas ça? 20 ans alors!
À quelle fréquence serez-vous présent(e) sur le forum ? Autant que faire se peut
Comment avez-vous découvert le forum (par internet, on s’en doute) ? Telod (qui m'a en réalité convié à rejoindre le forum il y a... un an... chacun son rythme hein!)
Avez-vous des remarques à propos du forum ? Hors du commun et plein de mystères, un régal