- Et tu es sûre que ça fonctionnera ?

- Oui.

A mon arrivée, je n'aurais jamais osé ne serais-ce qu'adresser la parole au chasseur des Oubliés. Deviner la surprise que dessinait sur son visage le ton résolu de ma réponse n'en était que plus agréable.


- Mais il en faudra davantage, pour un animal plus imposant.

Shabh, circonspect, étudiait le morceau de terre cuite que je venait de poser entre ses mains. Il contenait un résidu trouble et verdâtre.


- Et puis... je crois que si tu ne l'utilises pas bientôt il perdra de son effet.

Levant les yeux vers moi, le chasseur resta silencieux. Dehors on pouvait entendre le feu crépiter et Kahraman fredonner ; je devinais Abh, assise proche d'elle, profitant de la chaleur du four, les yeux mi-clos.


- Et il faut encore que tu trouves un moyen de le transporter sans t'empoisonner avec.


- T'en fait pas pour ça.

Shabh m'avait interrompu de son habituel ton incisif. Et comme la plupart du temps, sa remarque agacée s'accompagna rapidement d'une moue de regret.

- Bon, merci.

Confectionner ce poison m'avait pris à peine deux jours. Bien dosé, il devait suffire à paralyser un animal pour l'attraper et faciliter sa mise à mort. Sa viande serait ensuite consommables dans l'heure qui suivait. Sans pour autant ressentir de fierté, j'éprouvais une certaine allégresse à percevoir la vitesse à laquelle mes sens et intuitions s'aiguisaient en même temps que mon état de santé s'améliorait. Peut-être aurais-je bientôt assez de force pour soigner mes faiblesses les plus tenaces ?

- Ca pourrait marcher sur autre chose qu'un animal ?

Je me raidis à l'évocation soudaine de cette éventualité qui me tirait d'un énième rêve éveillé.

- … un monstre, par exemple ?

Ou un homme.

- Je ne sais pas.

Après avoir donné quelques autres indications à Shabh quant à l'usage à faire du poison, je l'avait suivi sur le seuil de notre grotte, avant de le regarder s'éloigner. Gesren n'était pas en vue, il était parti à l'aube pour cueillir quelques fruits à manger et, malgré l'attaque que nous avions essuyé quelques-jours auparavant, personne ne l'en avait empêché. Malgré son air placide et son sourire léger, il était évident pour tout le monde qu'il avait besoin de solitude. A dire vrai, la vie à l'intérieur de la grotte avait été particulièrement difficile, et ce pour tout le monde, ces derniers temps. Suite à l'attaque, j'avais du me reposer, incapable d'administrer mes soins, et les deux fuyards que nous avions recueilli, Dula et celui qu'elle appelait Abh avait pris deux places supplémentaires. Dula faisait de son mieux pour se rendre utile, mais le géant blessé n'avait pas eu d'autre choix que de rester convalescent.

Il étaient parti la veille. Je m'y étais vivement opposée, Abh commençait seulement à pouvoir de nouveau marcher, mais il m'avait été impossible de les retenir. Je n'avais d'ailleurs pas reçu beaucoup de soutien. Shabh s'était montré outrageusement rancunier envers les deux arrivants, les tenants responsable de l'attaque des monstres, et il était dur de lui donner tort sur ce point. De son côté Karhaman m'avait surprise en ne faisant rien pour le contredire. La présence de tout ces nouveaux arrivants devait lui peser. A vrai dire, la situation aurait pu dégénérer si Shabh, aidé de Dula, n'avait pas réussi à tuer une biche qui avait eu le malheur de s'approcher trop près de la grotte. Le repas qui s'en était ensuivi avait comme par magie fait disparaître tout agressivité entre nouveaux et anciens habitants de la grotte. Autour du feu du soir, tout les yeux luisaient de contentement et d'espoir. Karhaman avait joué de la flûte, et ceux qui pouvaient s'étaient mis à danser. Gesren, soucieux de me faire participer, m'avait même porté sur son dos et avait manqué de peu de poser le pied au milieu des braises. Au petit matin, malgré les excuses gênées de Shabh, Abh et Dula étaient partis. Ils pensaient revenir sur leurs pas vers cet autre camp qu'ils appelaient Terre Rouge. Je regrettais de les voir s'en aller, inquiète pour les blessures du géant muet, mais aussi maladivement curieuse d'en savoir davantage sur cet autre groupe qui semblait autrement plus organisé que le nôtre.

Alors que je m'étais remise à travailler sur le poison que je confectionnait, pilant avec application les algues blanches désormais sèches que j'avais prélevé au fond de la grotte, une femme aux cheveux blancs et aux yeux jaunes vifs s'était présenté au bas de notre barricade, nous demandant poliment l'autorisation d'approcher. A sa ceinture pendait ce qui ressemblait à un long coutelas et je me tournais d'abord vers Kahraman et Gesren qui se tenaient non loin pour finir par l'inviter à nous rejoindre
A l'inverse d'Abh et Dula, elle arrivait du sud. Évasive sur le lieu exact d’où elle arrivait, elle affirmait être éveillée depuis plus d'une vingtaine de jours. Elle portait une tunique aux mailles grossières mais souples, je n'avait encore jamais vu un tissu aussi solide. Elle refusa de me laisser voir son arme de plus près, mais accepta en revanche d'échanger quelques-uns de mes bourgeons, accompagnés de conseils quand à leurs consommation, contre une série de cordelettes solides dont j'étais certaine de faire usage plus tard. Je n'aurais à vrai dire jamais su m'en tirer aussi bien lors de ces négociations sans l'aide de Kahraman qui se révéla extrêmement douée pour ce genre d'exercice. Le soir vint alors que je terminais mes dernières expérimentations. De son côté Gesren avait continué à travailler sur les barricades en les garnissant de branches rendant plus difficile leurs enjambement. Kahraman avait cherché à améliorer son four sans succès et, agacée, nous fit part de ses déconvenues alors que nous mangions les restes du repas de la veille, après qu'Aard et moi en ayons fait consciencieusement le tri.
Contrairement à moi, la doyenne des Oubliés ne se remettait d'ailleurs pas aussi bien que je l'avais espéré. Devant mes efforts, elle riait doucement en me disant que certaines choses n'étaient pas amenées à changer aussi facilement, mais elle se laissait faire. Sa connaissance des plantes était différente de la mienne, moins tentaculaire, plus étudiée et, au fond de moi, je ne pouvais m'empêcher de penser qu'il serait impossible de la soigner réellement ; tout au mieux pouvait-on atténuer sa douleur.

Le léger redoux des jours précédents avait totalement disparu et, sans être glaciale, l'atmosphère fraîche laissait de nouveau des flocons de neige épars se déposer sur la végétation environnante. Shabh avait disparu. Si je voulais avoir le temps de cueillir quelques herbes avant que le jour tombe, je devais m'y atteler dès maintenant. J'avais désormais exploré les alentours du camps et connaissait les ressources que l'on pouvait y trouver. Je voulais explorer le dessus de la falaise. Peut-être étais-ce le bon moment pour commencer à étudier le chemin. Je pouvais aussi attendre le retour du chasseur pour lui demander conseil, mais l'appel de l'inconnu et de la découverte finirent de me convaincre. M'appuyant sur ma canne, je contournais le four en adressant un signe de tête au deux femmes qui l'entouraient, avant de m'enfoncer dans les hautes herbes.

* * *

Le poing fermé frôla mon visage de justesse alors que j'esquivai rapidement. Chancelant sur mes appuis, je reculai de nouveau face aux assauts répétés. Droite, gauche, droite... Les coups étaient répétitifs, et je commençais à prendre de l'assurance. Anticiper, encore un peu. Juste un peu et je pourrai répliquer. Un, deux... Mes jambes furent fauchées, me coupant brutalement dans mes réflexions alors que mon corps tombait lourdement sur le sol. Le souffle coupé par le choc, je ne parvins même pas à rouler pour éviter l'importante masse corporelle qui piquait vivement vers moi, plaquant mes bras au sol, glissant une main puissante dans mon cou, m'interdisant tout mouvement et toute possibilité de fuir.

- Perdu.

Gadeon se releva, libérant mon faible gabarit de sa poigne de fer et me permettant de recouvrir ma liberté de mouvements. Il s'éloigna légèrement, s'étirant tranquillement, tel un gros chat satisfait, puis reporta son attention sur moi. Je me hissai difficilement sur mes jambes, le corps endolori. Passant rapidement la tranche de ma main sous mon nez, je réalisai avec surprise la présence d'une fine coulée rouge et poisseuse.

- Encore.
- Non. Ce ne serait pas raisonnable.

Je soupirai, me laissant nonchalamment glisser sur le tapis de neige fine. Mon dos souffrait encore du choc, mes poignets encore récemment cerclés de la poigne brutale du racine perdaient difficilement leur couleur rougeoyante dans le froid, et je sentais encore l'ombre dangereuse d'une paume rugueuse sur ma gorge. Le contact doux de la peau de bête sur mon dos me tira de mes rêveries, alors que Gadeon me rendait mes effectifs. Il s'assit à côté de moi, affichant un sourire qu'il voulait sûrement réconfortant.

- C'est normal, tu sais. On va continuer à s'entraîner, mais il va juste falloir un peu de temps.

Je haussai les épaules. Du temps, nous n'en avions sûrement pas beaucoup. Les guetteurs, les basculés, tout le beau monde aux crocs acérés n'attendraient pas patiemment que je sache correctement me défendre pour planter leurs griffes brûlantes sous ma peau. Néanmoins, je ne pouvais pas contredire l'imposant Racine : m'épuiser ne mènerait à rien. De dépit, je jetais un regard vers le ciel.

- Xynn devrait déjà être de retour.

Gadeon avisa la trajectoire du soleil que l'on devinait derrière d'épais nuages gris. Il était à son zénith, annonçant fièrement le milieu de la journée. Ce matin, après avoir un peu discuté avec notre nouvelle rencontre, l'Échouée s'était mise en tête d'aller chercher quelques baies et racines diverses, devant l'éclat morne de nos visages creusés par la faim. Bien que j’eus tenté de la dissuader d'y aller seule, Gadeon avait pris sa défense en m’intentant de me reposer un peu. J'étais tout de même parvenu à lui faire promettre de rentrer avant que le soleil n'atteigne le haut du ciel, mais le résultat était là : sa voix joueuse ne retentissait toujours pas auprès de nous.

- Elle s'est sûrement plus éloignée que prévu et le chemin du retour est simplement un peu plus long. Ne t'inquiète pas.

Ou bien elle s'était perdue. Tout se ressemblait un peu sous la fraicheur immaculée de la neige. Voire, pire, elle s'était faite attaquée. Bien sûr, j'imaginais que cela ne passait même pas par l'esprit de notre nouveau compagnon et son optimisme flagrant. Ou était-ce moi qui broyait du noir depuis que je m'étais résolue à porter cette peau de bête couverte encore de sang séché, teintée de mort. Au moins pouvais-je espérer qu'avec cette neige elle puisse être un peu lavée.

Un long moment suivi la trajectoire du soleil dans le ciel, alors que je le voyais amorcer un début de descente vers les montagnes au loin et que mon corps commençait à trembler comme une feuille malgré les tentatives de Gadeon pour me faire rentrer plus au chaud dans les Serpents de Terre. Et enfin, la silhouette sombre de Xynn perça la fadeur des plaines. De loin, je devinai déjà son air guilleret, à peine perturbé d'avoir pu nous inquiéter. Pourtant, je savais déjà qu'il était inutile de la blâmer, cela glissait sur elle sans l'impacter.

- Eh beh ! Pourquoi vous faites cette tête ? J'ai rapporté le déjeuner !

Sa voix rieuse tinta l'atmosphère d'une ambiance un peu plus joviale alors qu'elle ouvrait devant nous le petit baluchon de fibres tressées que Gadeon lui avait confié à son départ. Dedans trônaient fièrement quelques racines noires à demi desséchées et plusieurs poignées de baies à l'aspect rugueux et cabossé, teintées d'une couleur rose pâle, un peu morne. Gadeon les pris immédiatement en main pour les examiner.

- C'est de ça dont tu m'avais parlé, pas vrai Gadeon ?
- Oui, elles-mêmes. Si on les fait cuire assez longtemps, on peut les manger. Elle n'ont pas vraiment bon goût, mais elles ont le mérite d'être nourrissantes.

Le Racine était, jusqu'ici, resté très évasif sur ses rencontres et sa vie passée, mais il avait laissé entendre qu'il avait pu retenir quelques éparses connaissances sur divers sujets, et notamment sur celui de la nourriture. Il connaissait deux ou trois types de baies consommables, mais son expertise s'arrêtait là.

Après une rapide concertation, il fut décidé que nous devions nous mettre en mouvement, malgré le froid. Trouver un endroit sûr, ou de la nourriture avant que nous n'en manquions encore plus. Dès lors, nous dégustâmes tant bien que mal les racines, dont la consistance les rendaient difficiles à mastiquer, puis nous quittâmes les Serpents de Terre.


Cela faisait un long moment que nous marchions en direction du Nord, si bien que le soleil commençait dangereusement à disparaitre derrière les pics enneigés. Gadeon, voyant que je peinais à marcher suite à la fatigue et aux quelques douleurs que notre entrainement m'avait infligées, avait insister pour me porter sur son dos, et je n'avais eu d'autres choix que d'accepter alors qu'il prenait déjà la charge de mon harpon. Je dû pourtant bien admettre que le relâchement confortable de mes muscles et que le voyage sans efforts, même bercé par les discussions presque incessantes de mes deux compagnons de route, était agréable.

Pourtant, à mesure que le jour déclinait, l'Échouée et le Racine se taisaient. Ainsi flanquée sur son dos, je ne pouvais voir l'expression que renvoyait le fort voyageur, mais Xynn, en miroir, me laissait interpréter l'inquiétude grandissante au sein de notre trio de ne trouver aucun abris avant la nuit. J'avais froid, et je n'étais pas la seule. Je commençais sérieusement à me demander si quitter les Serpents de Terre avait été une bonne idée. En tombant face à une immense falaise rocailleuse, nous décidâmes de la longer en direction du lac. Peut-être était-ce là la meilleure solution de repli.

Ce fut Xynn qui brisa le silence qui s'était finalement imposé :

- Il y a quelqu'un là-bas.

Son doigt pointait une silhouette fine derrière les flocons éparses qui s'étaient remis à tomber. Elle semblait chercher quelque chose parmi les hautes herbes, concentrée. Je sentis les muscles de Gadeon se raidir légèrement sous mon corps, mais l'Échouée, comme à son habitude, ne nous laissa pas réfléchir plus longtemps, se contentant de se diriger d'un pas actif vers ce qui s'avérait être une maigre femme. En un sens, si elle était seule, nous n'avions vraiment pas grand chose à craindre. Peut-être même qu'elle saurait nous aider dans notre pèlerinage.

Alors que la femme au corps sombre fondait vers celle dont le teint verdâtre ressortait sous une peau de daim, Gadeon tenta de la suivre. Ralenti par mon poids, bien que léger, il se fit cependant distancer de quelques mètres, ne pouvant ainsi pas maîtriser les mouvements brusques de l'Échouée dans les hautes herbes. Une fois proche de l'inconnue, elle l'alpagua :

- Hé, toi !

Brusque et sans tact, du grand Xynn.

Il ne m'avait pas fallu plus de quelques pas au delà des abords du camp pour complètement oublier la raison première de mon excursion, alors que tout mes sens étaient peu à peu accaparés par la végétation qui m'entourait. Celle-ci commençait à m'être familière et exprimait sa présence tout autour de moi par un langage subtil, composé d'odeurs et de couleurs formant un unisson harmonieux, au rythme se modulant alors que j'évoluais en son sein. Je ramassait quelques plantes familières, les séparant avec précaution dans ma besace d'avec les stocks qu'elle contenait déjà. Ses sangles se faisaient de plus en plus racornies et je devrais bientôt réfléchir à un nouvel outil de stockage. Ard pourrait certainement m'aider, mais je n'osais pas trop la solliciter. Malgré tout, la doyenne des Oubliés n'allait peut-être pas tarder à s'éteindre, et il n'y aurait alors aucune manière de récupérer son savoir et son talent. Je sentis l'intérieur de mon ventre s'alourdir soudainement à cette pensée. Presque sans m'en apercevoir, je portais l'un des derniers bourgeons qu'il me restait à mes lèvres avant de m'immobiliser. Etais-ce bien nécessaire ? Sans en avoir fait l'expérience, j'avais l'intuition que mon corps commençait déjà à s'accoutumer à leur effet énergisant et suppresseur d'anxiété. Je finis par le ranger et repris ma marche, me laissant de nouveau porter par le langage des plantes.
Je ramassait quelques spécimens sans vertu particulières, mais qui pourraient faire office de fibre pour un éventuel tressage et trouvais même sans le vouloir une sente abrupte qui pouvait donner accès, sinon au haut de la falaise, au moins à un plateau intermédiaire. Shabh le connaissait sans doute mais il fallait que je lui en parle, ce pouvait être un excellent poste d'observation pour la chasse.

Ils étaient trois ; et l'une d'entre eux marchait droit sur moi en parlant d'une voix claire. Je me trouvais prise de court face à l'attitude cavalière de celle qui se tenait désormais à une dizaine de pas de moi et, par réflexe, laissait tomber ma cueillette pour saisir ma canne à deux mains. Un rapide coup d’œil autour de moi me fit rapidement comprendre que le terrain n'était pas à mon avantage mais, d'un autre côté, l'attitude décomplexée et dénuée de toute prudence de l'être qui me faisait face  ne pouvait découler que d'une assurance totale ou d'une certaine insouciance. Dans tout les cas cela me laissait un peu de temps. Immobile, j'essayais de jauger les trois inconnus qui me faisaient face. Le plus gros devait sortir de terre, celle qui me faisait face était probablement venue de l'eau comme moi tandis que la troisième venait probablement des sommets. Devant mon absence de réaction, celle qui m'avait interpellée reprit.

- Qu'est-ce que tu fais ici ?

Cette question ne fit qu'ajouter à ma confusion et je fis un effort conséquent pour ne pas laisser mon esprit tenter d'y trouver une réponse. J'étais trop loin pour distinguer les yeux des deux individus en retrait, mais la plus vindicative avait un regard fixe et un visage sur lequel ne transparaissait aucune trace de folie ou d'agressivité. Elle parlait fort et, si Shabh était dans le coin, il n'était pas impossible qu'il converge déjà vers l'endroit ou nous nous trouvions. Cet espoir était un peu trop mince pour que je puisse compter dessus, mais si les intentions des trois arrivants étaient mauvaises, je n'avais pas beaucoup d'alternatives.

- Je cueille des plantes.

Lentement je ramassait mes trouvailles du jour. Si la situation l'exigeait je pouvais essayer de les empoisonner, par exemple en leur vantant les vertus d'une plante toxique. Mais je n'avait d'une part rien ramassé qui ait un effet suffisamment fulgurant et, d'autre part, cela impliquait de mentir. Au vu de ma difficulté à tenir le plus simple des discours, je ne préférais pas me risquer à l'exercice.

- Vous, heu... en voulez ?

Au dessus de nous, le soleil caché derrière un ciel blanc et hostile nous privait peu à peu de sa lumière.

L'Échouée aux couleurs végétales se plaça presque immédiatement sur la défensive. Ses yeux brillaient d'une teinte d'incompréhension profonde, et glissaient vaguement sur les décors alentours, comme si elle cherchait une chance de salut. Rien d'étonnant à ce que Xynn l'ai effrayée avec une attitude si profondément indélicate. Et puis, avec son volume sonore, on pouvait cracher définitivement sur la discrétion.

Gadeon la rejoint rapidement, alors qu'elle harassait déjà l'inconnue. Je bondis avec agilité du dos de mon fort porteur, récupérant au passage mon harpon, prenant bien garde à le présenter bas et visible. Nulles raisons supplémentaires de passer pour des entités hostiles auprès de la jeune femme. Le Racine, s'armant d'un visage qui se voulait doux et rassurant posa ses mains sur les épaules de Xynn, avec une volonté presque paternelle de limiter sa fougue furieuse. Sa facilité à arborer un sourire franc en toute situation me déconcertait depuis que je l'avais aperçu le matin même au cœur de la terre. Sa voix grave, confiante, s'apposa délicatement sur la neige :

- Pardon de t'avoir effrayée. Xynn est un peu brusque, elle aboie beaucoup mais elle ne mort pas.

Les traits sombres du visage de la concernée se plissèrent en signe de protestation sous l'affront. Visiblement, l'imposant homme n'avait pas encore compris qu'on ne calmait pas la tempête en soufflant dessus. Je jetais un regard sévère en direction de la fière Échouée, mais elle n'y prêta aucune attention.

- Pardon ? s'exclama-t-elle, t'étais visiblement pas là quand...

La main de Gadeon s'apposant fermement sur sa bouche coupa net à la discussion. Évidemment, Xynn ne pouvait s'empêcher de tenter de sauver son honneur en rappelant la récente nuit où elle avait tué un basculé pour me sauver la vie. En terme d'anecdotes à partager lorsqu'on essaie de passer pour des êtres amicaux, aucun doutes que celle-ci était mal choisie, et l'homme au teint hâlé l'avait anticipé. L'odeur du sang poisseux mêlé de boue qui s'attachait à ma fourrure choisit ce moment précis pour me revenir aux narines, faisant danser une fois de plus les images déformées des visages fous de nos agresseurs sous mes yeux. Un haut le cœur me prit, et je chassais ces désagréables appels du passé d'un ballottement de la tête.

Sans même prêter attention à la jeune femme capricieuse qui tentait de se débarrasser de son bâillon humain sans succès, le bienveillant Racine avait repris ses explications. En l'observant, je réalisai soudainement qu'on avait peut-être trouvé, ce matin entres deux serpents de terre, le seul être qui nous permettrait un tant soit peu de passer pour des individus fréquentables.

- Je m'appelle Gadeon, enchanté. Et elle, enchaîna-t-il en me désignant du menton, c'est Ylve.

Il me sourit, s'attendant sûrement à ce que je fasse de même, ou que j'arbore un air enchanté en m'exclamant que j'étais heureuse de rencontrer une nouvelle personne. Je ne pouvais pas lui en vouloir, il faisait de son mieux pour tenter de réparer les erreurs de l'impertinence de la plus insouciante du trio, qui avait finit par se lasser de se débattre d'ailleurs, que Gadeon avait donc finalement lâchée et qui semblait bouder maintenant, passablement contrariée. Mais ce genre de choses ne relevait pas de mes capacités. A la place, je me contentais de fixer notre nouvelle rencontre, intriguée par son regard à moitié vide au moins autant que par sa sacoche et ses plantes que je l'avais vu proposer à Xynn. Si Gadeon avait purement et simplement ignoré sa proposition, il ne me semblait pas que c'est parce qu'il ne l'avait pas entendu. Plutôt qu'il se méfiait, mais qu'il ne voulait rien laisser paraître.

- En fait, nous marchons depuis un moment déjà. On ne connait pas bien les environs, mais...
- On cherche un abri pour passer la nuit.

La discussion s'éternisait, la lumière du jour faiblissait, Xynn avait fait un boucan d'enfer et les longs discours inutiles m’agaçaient. Gadeon n'apprécierait sûrement que peu le fait que je le coupe dans ses tentatives diplomates, mais on tirait sur la corde sans raison. Et puis, je commençais à m'inquiéter. A quelques mètres, plus loin, dans les herbes hautes, la silhouette musclée d'un homme coiffé de noir s'avançait.

***

Les trois arrivants étaient désormais assez proche de moi pour que je puisse étudier plus en détail leur apparence. A mon grand soulagement, il ne semblaient pas agressifs et, me semblait-il ne dégageaient aucune intention néfaste à mon égard Leur attitudes et mouvements avaient quelque-chose de familier sur lequel je n'arrivais pas à poser de mots. Je ne réaliserais que plus tard que j'avais laissé la présentation polie du dénommé Gadeon sans réponse, alors que mon attention était captée sur celle qu'il portait sur son dos et sur son regard clair. Celui-ci me jaugeait avec un curiosité franche et j'amorçais un geste pour lui proposer à nouveau un peu de ma cueillette avant de me raviser. J'étais désormais éveillée depuis assez longtemps pour savoir qu'il ne suffisait pas d'offrir quelque-chose à quelqu'un pour gagner sa confiance. Le grand homme se remit à parler, mais fut aussitôt coupé par celle qu'il avait appelé Ylve.

- On cherche un abri pour passer la nuit.

C'était ça. Le corps couvert de poussière, les yeux vitreux et rougis de fatigue, cernés d'une anxiété latente, ce léger frémissement nerveux dans la voix... Je reconnaissait ces symptômes parce qu'ils avaient été miens, parce qu'ils étaient portés par tout les sans-abris qui avaient croisé mon chemin depuis que je m'étais éveillée. J'étais loin d'être un avatar de vitalité et, pourtant, je réalisais avec étonnement que je ne portais plus ces marques, qu'elles me semblaient désormais étrangères ; je m'en était séparée, et ce en l'espace de seulement quelques jours.
Plongée dans ces considérations j'oubliais encore une fois de répondre. Il fallut que Xynn pousse un soupir agacé pour que je prenne conscience qu'une réponse était attendue de moi. Pouvais-je les amener jusqu'à la grotte ? Ne valait-il mieux pas d'abord en référer avec les autres ? Après tout, nous accueillons régulièrement des voyageurs de passage, mais je n'avais pas le souvenir que nous ayons jamais laissé entrer autant de personnes à l'intérieur de la caverne des oubliés.

- Désolé mais c'est non.

A l'inverse d'Ylve, je n'avais pas entendu Shabh approcher. A la lueur du crépuscule, sa silhouette avançait vers nous, glissant sans un bruit à travers les hautes herbes qui bordait la falaise. Il était encore trop loin pour que je puisse voir ses yeux, mais au ton de sa voix je devinais l'éclat vibrant que la chasse pouvait y insuffler certains jours. Le chasseur s'immobilisa à quelques pas de nous, à son flanc pendait ce qui ressemblait au cadavre d'un écureuil, mais la tension qu'il dégageait suggérait qu'il avait traqué quelque-chose de plus gros, sans succès.


- Je n'ai rien contre vous, mais trop de gens ont pu entrer dans notre repaire ces derniers temps. Nous n'avons pas grand-chose mais nous ne prendrons pas le risque que le mot se répande jusqu'aux oreilles de pillards.

Il était assez étrange d'entre Shabh dire « nous » alors qu'il était évident pour toute personne le connaissant qu'il pensait « je ». Pour ma part, je n'avais pas su prononcer plus d'une phrase depuis le début de cet échange, et ne savais toujours pas quoi y ajouter. Je connaissait la méfiance de Shabh et ne pouvait m'empêcher de partager son point de vue. Mais il me paraissait difficilement concevable de refuser assistance à trois voyageurs éreintés.

- Je n'ai pas eu l'occasion de tester ton poison. Il devrait encore fonctionner jusqu'à demain non ?

Qu'essayait-il de faire ? Les impressionner ? Peu réceptive aux sous-entendus j'avais très bien compris la menace instillée dans la remarque faussement légère que Shabh, c'était absurde. Je me demandais quelle plante malade poussait parfois dans le cerveau de ce corps pourtant si plein de vitalité.

- Dans cette direction, il y a un creux pas loin, à l'abri du vent, caché par les arbres. Je viendrais vous y voir et, si le reste des Oubliés son d'accord, vous pourrez nous suivre.

Shabh me jeta un regard noir mais je ne me souciais pas de lui et commençait à m'éloigner vers la grotte d'un pas décidé. Pourquoi fallait-il que certains êtres rendent les choses complexes, emmêlent sciemment les mots et les gestes ? J'appréciais Shabh, sa détermination et sa vitalité, mais cette hargne latente et constante me faisait de plus en plus l'effet d'un nuage toxique qu'il fallait à tout prix fuir. Derrière-moi, j'entendis le chasseur adresser une dernière remarque aux trois voyageurs avant de m'emboîter le pas.

* * *

Xynn avait cessé de bouder et de trépigner à peine les premiers mots du nouvel arrivant prononcés. Un message franc, sûr. Les traits durs de son visage ne laissaient visiblement aucune place à la négociation. Je sentais l'agacement de ma partenaire presque palpable. Pour elle, ce refus était une défiance, et elle réagissait plutôt mal à la provocation. Pourtant, elle ne protesta pas, et je lui en fus reconnaissante. A priori, si l'échouée vaporeuse ne représentait que peu de danger, les muscles saillants du grand Racine qui l'avait rejoint nous dissuadaient rapidement de tenter le diable. J'imaginais que même Xynn l'avait compris.

Ses justifications étaient, je devais l'admettre, assez louables. Après tout, même affublé d'une carrure à faire reculer plus ou moins n'importe quel opposant, il avait peur. Et d'après ce que je comprenais, ces deux là n'étaient probablement pas seuls. A l'image de la hargne que j'avais pu voir dans les yeux de Xynn lorsqu'elle s'était battue pour nous, j'imaginais sans mal que l'homme de la terre redoublait de méfiance pour protéger les siens. A moins qu'il ne cherche qu'à se protéger lui-même.

Je surpris un froncement rapide des sourcils de Gadeon à l'évocation d'un poison. Comme par réflexe, il ferma une main sur l'épaule de l'Échouée aux cheveux sombre. Je ne savais pas vraiment si il voulait l'empêcher de bondir tous crocs dehors ou si cela ne consistait qu'en une sorte de geste un peu vain de protection. La tension de Xynn emplissait l'atmosphère. Ses muscles raidis soutenaient un visage passablement énervé. Je me rapprochait imperceptiblement, saisissant doucement sa main, dans un geste désespéré de l'apaiser. La menace du Racine aux cheveux sombres avait jeté un froid tangible au sein de notre trio, si bien que même l'expression de Gadeon s'était assombrie.

- Dans cette direction, il y a un creux pas loin, à l'abri du vent, caché par les arbres. Je viendrai vous y voir et, si le reste des Oubliés sont d'accord, vous pourrez nous suivre.

L'intervention de l'Échouée nous étonna tous les trois. Alors qu'elle semblait jusqu'ici complètement perdue et effacée, je n'attendais d'elle qu'une pâle approbation des mots menaçants de son compagnon. A la place, elle semblait avoir décidé de nous accorder une confiance toute relative. Je faillis lui accorder un sourire reconnaissant, mais avant même que l'information n'atteigne les muscles de mon visage, celle-ci avait déjà tourné le dos, s'éloignant avec assurance. Sous le coup de la surprise, je perçu le relâchement des muscles de Xynn. Gadeon, lui, détendit son visage, accordant un sourire gêné à l'autre Racine. Je crois qu'il essayait de détendre l'atmosphère au regard de l'expression échauffée de celui qui venait de nous menacer. La colère qui teintait sa voix avant qu'il ne suive l'autre femme fit naître un frisson nerveux le long de mon échine :

- N'y comptez pas trop.

Nous restâmes silencieux un moment alors qu'ils s'éloignaient. Puis Gadeon entama le mouvement, tirant Xynn par la main, m'entrainant du même geste. Nous marchâmes un peu, le bruit de nos pas et du vent dans les hautes herbes couvert par les vociférations de Xynn. Une histoire d'un homme qui ne savait pas à qui il s'adressait et qui n'avait pas à parler comme ça. Elle s'était retenue pendant les dernières minutes de conversation, et maintenant elle implosait. Lorsque nous trouvâmes le coin dont nous avait parlé l'Échouée, nous nous y engouffrâmes. Ainsi assis et lovés dans le creux, le vent était moins agressif, mais je frissonnais toujours, et Gadeon m'entoura de ses bras pour me réchauffer. Xynn, elle, ne s'était pas assise, se contentant de faire les cent pas devant le creux en pestant.

- Non mais sérieusement, pour qui il se prend ? Le mec récupère un vieille écureuil claqué, il trouve une pote qui sait faire des potions à la con, et ça y est, c'est le roi du monde ?
- Xynn, s'il te plait, moins fort.
- Non mais sérieux Ylve, tu trouves ça normal ? Et toi Gadeon ? T'es content de te faire cracher dessus par Monsieur muscle ? Sans parler de Miss pommée et sa fausse charité à deux balles ? Elle avait juste peur qu'on l'attaque, elle a trouvé la raison de se barrer, je te jure jamais elle revient. On ferait mieux de se casser avant qu'ils nous tombent à cinq dessus pour nous manger au diner.
- Xynn ça suffit maintenant ! m'écriais-je, la coupant avant qu'elle ne s'enfonce plus loin dans sa colère.

Gadeon entreprit de la calmer et de la rassurer, mais je m'isolais dans mes pensées, cessant de les écouter. L'Échouée m'avait semblée sincère. Elle paraissait bien trop perdue pour réfléchir à de telles entourloupes. Quant-au Racine, difficile à dire. Il était foncièrement méfiant envers nous, mais cela signifiait-il qu'il représentait un réel danger ? Et quid des "Oubliés" dont-avait parlé la femme avant de s'éloigner ? Après tout, on ne connaissait même pas son nom... Pouvions-nous vraiment lui faire confiance, à elle et ses amis ? Et combien étaient-ils ? Les questions se bousculaient sans discontinuer dans ma tête, mais le soleil avait disparu derrière les montagnes maintenant, ne laissant plus que certains de ses rayons las se réfléchir mollement sur la neige. Avions-nous seulement d'autres choix que de lui faire confiance ? Ce fut Gadeon qui coupa court aux discussions, un sourire encourageant fiché sur son visage :

- Restons cachés ici pour le moment. Au pire on passera une moins mauvaise nuit que dehors à la vue de tous. Et haut les cœurs, la petite avait l'air sincère. Moi, j'y crois.

J'essayai d'oublier que, de toute façon, Gadeon croyait toujours dans le positif des choses, et que cela ne représentait donc en rien une assurance. Mine de rien, il avait réussi à faire en sorte que Xynn s'assoit à son tour, tout proche de nous, dans la pseudo-chaleur relative du creux. Elle se contentait maintenant de marmonner dans son coin, mais je choisis de ne pas y prêter attention. Je me contentais d'adresser un sourire de remerciement au grand Racine, qui sembla sincèrement touché. Peut-être parce que je distribuais les signes de reconnaissance au compte goutte. C'est dans un silence tout juste brisé par l'agacement de Xynn que notre attente commença.

***

Alors que le dernier des oiseaux diurnes se taisait enfin, la nuit tapissée de neige avait englouti l'ensemble des sons du jour. Mes pieds glacés étaient douloureux d'avoir trop buté sur les obstacles que l'obscurité soustrayait à mes sens, et je déplorait ne pas pouvoir percevoir les pierres et minéraux avec autant de facilité que les plantes qui m'entouraient. Mais, malgré la douleur, je continuais d'avancer, serrant contre moi mon précieux chargement. A dire vrai, malgré le danger, malgré la nuit et le froid, je me sentais plus à l'aise à l'air libre qu'à l'intérieur de la grotte.

Lors de notre retour, Shabh m'avait accompagné un temps avant de me dépasser sans un mot. Lorsque, bien après lui, j'avais pu rejoindre notre abri, il m'attendait les bras croisés, alors que les autres oubliés me fixaient avec un air de surprise, voir d'incompréhension.

- Daedwyg, que se passe t-il ?

Quelque-chose n'allait pas, la voix d'Aard n'aurait pas dû être aussi chargée d'inquiétude.

- Ils sont trois, dehors et ils ont froid. Est-ce qu'on peut les accueillir pour cette nuit ?

- Mais, Shabh me dit qu'ils sont agressifs, et armés ?

Seul le bruit du feu crépitant à son entrée emplissait la grotte. Même Kahraman d'habitude si prompte à briser le silence se tenait accroupie, me jetant un regard circonspect, légèrement peiné.
Je ne crois pas avoir dit un mot et, si l'on m'en a adressé, je ne les ait pas entendu. Quelques battements de cœur plus tard, j'avais saisi l'un de nos plus grands pots vides, m'était accroupie près du feu et en avait extrait quelques tisons avant de m'éloigner.
J'ignorais ce que le chasseur avait pu leur dire mais, confusément, je me sentais blessée. Blessée d'être prise pour un être irresponsable et sans discernement. Ils avaient sans doute leurs raisons, et je les considérerais peut-être plus tard. Mais pour l'instant je voulais m'éloigner de la grotte des Oubliés.

Le pot était bien plus chaud que prévu, et je craignais à chaque pas que la terre cuite se brise, laissant choir les braises dans la neige. Alors que j'arrivais en vue de l'endroit que j'avais indiqué aux voyageurs, je me fis la remarque que je n'avais même pas pensé à emporter à manger. Shabh ne m'aurait probablement pas laissé faire.

Arrivé à quelques pas du renfoncement, je plissait les yeux pour tenter de les apercevoir. Eux devaient m'avoir entendu puis vu arriver depuis longtemps. Je mis quelque temps à discerner des silhouettes immobiles qui devaient me regarder, à moins qu'elles fussent endormies ? Un instant, je fus pris d'un doute, étais-je en train de me mettre en danger ? Après tout, malgré leurs paroles rassurantes, il se pourrait très bien que leurs intentions aient changées après les mots que leur avait adressé le chasseur. Étais-ce seulement les même personnes ?

Je balayais l'inquiétude grandissait qui faisait naître d'anxieux fantasmes dans mon esprit; il était de toute façons trop tard pour faire demi-tour. Je fis encore quelques pas, posait le pot au sol et commençait à creuser la neige puis la terre pour y déposer les braises. Mes mains réchauffées par le pot se refroidirent rapidement et je m'arrêtais pour relever la tête vers les silhouettes qui n'avaient toujours pas dit un mot.

- Heu, quelqu'un pourrait aller chercher du bois ?

- Elle ne reviendra pas, pas vrai ?

Les étoiles brillaient lascivement derrière les nuages. La lune, a demi masquée, n'éclairait que faiblement le décor herbeux qui nous entourait. Je discernais vaguement le visage de Gadeon, sans pourtant pouvoir y déceler d'émotions claires. Xynn, elle, s'était endormie. Moi-même commençais à sentir le poids lourd de mes paupières. La neige ne tombait plus, mais le sol en était encore recouvert, et le froid n'avait pas décru. Gadeon m'encerclait toujours de ses bras pour me réchauffer, quand Xynn, elle, s'était contentée de se replier sur elle-même dans son sommeil pour parer la brûlure du gel.

- Si... Si bien sûr, elle viendra. C'est normal que ça prenne du temps.

Gadeon avait mit du temps à me répondre. Même lui ne croyait plus vraiment à ce qu'il disait. Je le soupçonnais de continuer à divulguer de faux espoirs dans le but que je ne me fasse pas de soucis. Mais je sentais au vacillement léger de sa voix que le doute l'avait enserré.

- Tu n'es pas obligé de me mentir, tu sais.

J'avais parlé sans animosité ou reproche. Presque amusée, presque compréhensive. Je sentis le grand Racine tiquer. Il choisit d'ignorer ma remarque et de couper au plus vite la discussion qui le mettait dans une position d'équilibre instable.

- Tu ferais mieux de dormir. Je garde les yeux ouverts.

Je soupirai. Comme s'il anticipait ma réponse, il ajouta :

- Je te réveillerai au milieu de la nuit pour tourner si elle n'est pas revenue. C'est promis.

Mes doutes se confirmaient. La boule dans ma gorge gonfla un peu. Derrière nous, le creux s'enfonçait un peu dans le sol, mais sans lumière, inutile même de réfléchir à une quelconque exploration. De toute façon, Gadeon aurait surement refusé, préférant qu'on attende l'étrange Échouée qui nous avait promis assistance. Je fermai les yeux.

***

Ce fut Gadeon qui me réveilla en me secouant légèrement.Il me désigna un point lumineux plus loin dans les plaines qui se rapprochait. Nous restâmes immobiles. C'était encore là notre meilleure chance de passer inaperçu en cas de besoin. A mesure que la source lumineuse se rapprochait, nous discernâmes une silhouette, paraissant assez déterminée quant à la trajectoire de son chemin. Pas très discrète, que ce soit à l’œil ou à l'oreille.

Lorsqu'elle arriva à quelques pas de nous, nous pûmes enfin discerner clairement sa nature. Maigre, portant un pot d'où jaillissait une faible lumière oscillante, probablement des braises, qui éclairait un visage plissé par la concentration nécessaire pour scruter le creux. Elle était revenue.

A sa demande, Gadeon se proposa immédiatement, réveillant dans son entrain Xynn qui sursauta. Elle prit quelques instants à se rendre compte de la situation avant de s'étirer. Le grand Racine, lui, se leva et entreprit de s'éloigner, promettant qu'il ne serait pas long. A son départ, il ne me fallut pas longtemps pour frissonner à nouveau, mais l'espoir d'un feu prochain me rassura.

D'un geste, j'invitai l'Échouée à venir nous rejoindre dans le creux en attendant le bois qui permettrait de faire partir le feu. A la pale lumière des tisons, je devinais ses yeux. L'un plein de vie, l'autre très pâle. Intrigant. De son côté, Xynn restait en retrait, se contentant d'observer de loin. Elle ne râlait plus, peut-être que son somme l'avait calmée. A moins qu'elle ne se soit rendue compte de l'injustice de ses insultes et que, touchée dans son égo, ou prise de remords, elle avait choisi de se taire. Pour autant, je ne m'y intéressait plus trop, intéressée par l'aura si particulier la femme à la peau de Jade abîmé. Les questions se bousculaient dans ma tête. Pourquoi avait-elle décidé de nous aider malgré le refus clair de son ami ? L'avait-elle convaincue ? Nous avait-elle donc bien fait assez confiance pour revenir seule ? Et plus fort encore, que savait-elle de ce monde ? Qu'avait-elle vu, qu'avait-elle appris ? Finalement, je déliai ma langue :

- Dis-moi, qui sont les Oubliés ?

C'était la question qui me brûlait le plus la langue, et aussi celle qui m'effrayait le plus. Ils pouvaient être trois, ou des dizaines, pacifiques ou aussi agressifs que des loups affamés. Mais, comme rattrapée par de purs principes de politesse, j'enchainai rapidement :

- Ah et euh... Merci...

Je butais en cherchant comment finir ma phrase, réalisant dans le même temps que je n'avais pas posé la question la plus évidente :

- Tu ne nous as pas dit ton nom.

Le retour de Gadeon marqua la fin de ma phrase, alors qu'il s'affairait déjà à faire repartir le feu.

***

Daedwyg... Nous pouvions enfin mettre un nom sur cette étrange femme qui s’emmêlait lorsqu'elle parlait. Les silences prolongés qu'elle laissait parfois glisser sans même le réaliser agaçaient Xynn, je pouvais le lire à son agitation qui avait repris. Pour ma part, j'appréciais assez de me retrouver face à quelqu'un qui réfléchissait un peu avant de distribuer des paroles à la pelle. C'est pourquoi je la laissai parler sans jamais la couper. L'Échouée à la peau sombre écoutait aussi avec application malgré sa fatigue, quant-à Gadeon, bien qu'il s'appliquait à la naissance des flammes, il tendait l'oreille. Son visage concentré s'illuminait sous la chaleur réconfortante des braises.

Les informations que Daedwyg libéra à propos des Oubliés étaient trop faibles pour que je m'en fasse une idée réellement rassurante, mais l'attitude de la femme des eaux me poussa à croire que nous n'avions pas trop à nous en faire. De toute façon, nous n'avions pas vraiment le choix, et j'avais d'autres foyers d'angoisse à gérer avant de nourrir celui-ci. Dont un qui naquit à l'évocation de son attaque. "Des créatures terribles, plus fortes que celles qui ressemblent encore à des hommes". Une bouffée de peur me pris alors que je vis le visage de Gadeon s'assombrir. Pas une once de surprise sur son visage. Il savait sûrement déjà que ce genre de dangers existaient.

- Et vous ? D'où venez-vous ?

La question de l'Échouée me sortit de mes pensées. Mais il allait clairement falloir que j'ai une discussion avec le grand Racine. Je n'aimais pas l'idée qu'alors qu'il nous avait parlé de tas de choses sur ce monde déjà, il ne nous ai jamais évoqué les dangers dont il connaissait l'existence. Le temps de latence qu'il me fallut laissa à Daedwyg l'occasion de nous proposer quelques bourgeons, censés être bienfaiteurs. Xynn les refusa, mais Gadeon en saisit un, satisfait d'avoir enfin fait naitre quelques flammes du foyer. Je choisis d'imiter Gadeon, poussée par la faim. Le goût était plutôt mauvais, mais le bourgeon était mangeable. Ma partenaire de route en profita pour reprendre la parole, après un moment étonnement long à s'être effacée des discussions.

- Nous aussi on vient du Sud du Lac. Enfin, c'est Gadeon qui s'est éveillé en premier, mais on ne le connait que depuis ce matin. Moi je suis éveillée que depuis deux jours, et Ylve trois. Je l'ai rencontrée dès que je suis sortie du lac. On a décidé de remonter vers le Nord parce qu'on cherchait un endroit plus sûr, et de la nourriture.

Elle semblait satisfaite de pouvoir de nouveau maitriser la situation, mais aussi qu'on s'intéresse un peu à elle, en bienveillance et sans provocation. Sa voix paraissait un peu plus enjouée. Surtout lorsqu'elle enchaîna, en désignant nos deux fourrures :

- Et tu vois ça ? C'est parce qu'on s'est faites attaquées avec Ylve, quand j'en ai parlé à Gadeon, il m'a dit que c'était sûrement des basculés. Mais ils voulaient du mal à Ylve... Et peut-être à moi aussi, je sais pas trop. Ils disaient des trucs pas cohérents. Mais on les a battu, t'aurais du les voir...
- Daedwyg ? Tu t'y connais en plantes, c'est ça ?

Gadeon était venu s'assoir avec nous maintenant que le feu crépitait chaleureusement. Il avait une fois de plus coupé Xynn dans son élan, probablement peu à l'aise à l'idée qu'elle effraie l'Échouée avec son histoire de combat. Je ne pouvais pas lui donner tort, je ne savais pas moi-même comment aurait réagit notre compagnon d'un soir à l'idée que Xynn aie décidé de tuer son adversaire, même par légitime défense. Après tout, on la connaissait encore peu. Le Racine sortit le sac de baies que Xynn avait récolté ce matin et le présenta à Daedwyg. Les baies avaient le même aspect cabossé et la même couleur rose pâle que plusieurs heures auparavant.

- Je crois qu'elle sont mangeables cuites, mais je ne suis pas un expert, et je serais rassuré d'avoir un second avis sur la question. Est-ce que tu pourrais m'éclairer, s'il te plait ?

Il ponctua sa demande d'un sourire chaleureux. Il savait vraiment y faire pour mettre les gens à l'aise. Profitant de ce moment de flottement, et n'y tenant plus de curiosité et d'inquiétude, je m'adressai à Gadeon, à voix basse :

- Tu savais qu'il n'y avait pas que les guetteurs, pas vrai ?

Il fit comme si il ne m'avait pas entendue et s'intéressa avec encore plus de passion à Daedwyg. Mes doutes se confirmaient. Je sentais que j'allais devoir lui tirer les vers du nez.

***

Après avoir rapidement reniflé les baies, j'acquiesçais en silence. L'histoire des trois voyageurs sonnait familièrement à mes oreilles. Tout les humains de cette vallée étaient mus par ce même désir de trouver un endroit calme ou se reposer et je regrettais de ne pas entendre la suite du récit de Xynn. Son ton enjoué me rappelait celui de Kahraman et je me demandait si les deux femmes s'entendraient, encore fallait-ils qu'elles puissent se rencontrer un jour.

- Tu savais qu'il n'y avait pas que les guetteurs, pas vrai ?

Malgré l'épaisse fumée que dégageait l'humidité des branches, chacun s'approchait aussi près que possible du feu qui commençait à gagner en intensité. Gadeon continuait à me fixer en souriant, comme s'il attendait une réponse à une question qu'il n'avait pas posé. Pourquoi ne répondait-il pas à son amie ? Malgré la bienveillance dont il faisait part, son attitude réservée, la façon dont il avait coupé Xynn m'était incompréhensible. Qu'essayait-il de cacher ?

- Il y a d'autres monstres.

Le sourire de Gadeon s'effaça, et il se tourna vers Ylve et Xynn avec une expression que je ne parvint pas à saisir, je continuais.

- Je n'ai vu que ceux qui ressemblent à des hommes et qui se déplaçent à quatre pattes, ceux que vous appelez les guetteurs ? Il y a aussi ceux qui ont attaqué mon camp...

Et il y en avait d'autres. Les oubliés avaient été attaqués par une immense chose rampantes au griffes longues comme celles d'un homme. Et nombre de voyageurs qui étaient passés par la grotte des oubliés nous avaient conté des histoires sur des formes noires pouvant changer leur apparences à souhait, ou de choses gigantesques se mouvant sous la surface du lac.

- Ces choses existent, elles ont beaucoup de formes. Je ne sais pas ce qui les attire, ni pourquoi elles disparaissent parfois sans raisons mais... peut-être que si tout les gens de cette vallée partagent ce qu'ils ont vu, peut-être que nous aurions tous plus de chances de ne pas mourir ?

La fumée me piquait les yeux et je ne discernais qu'avec difficulté ce qui m'entourait. Je me tournais malgré tout vers Gadeon. Peut-être avais-je fait une erreur en allant à l'encontre de sa volonté de garder certaines choses sous silence.

Gadeon s'était renfermé. Son sourire s'était éteint et son regard s'était durci. Il sembla plonger à l'intérieur de ses pensées, continuant d'écouter Daedwyg sans la regarder, entamant mécaniquement une nouvelle action. Tel un corps dirigé par une autre âme, il attrapa le pot dans lequel l'Échouée avait, plus tôt, amené les braises, le vidant consciencieusement des dernières cendres. Il vida les baies à l'intérieur, puis, se munissant d'un bâton, commença à les écraser.

Un long moment de silence s'écoula, simplement brisé par le crépitement du feu et les crissements des baies qui éclataient dans le pot. Gadeon semblait réfléchir, ou gagner du temps, à ce niveau je ne savais plus bien. Il acheva son labeur, et déposa le pot à même le feu à l'aide de branches solides pour ne pas plonger les mains dans la fournaise. Puis, il reprit sa place entre nous, sans cesser de fixer le feu. Ce fut Xynn qui s'impatienta la première :

- Gadeon, si tu sais des choses, il faut que tu nous les dises. On s'en sortira pas si chacun garde les choses pour sa pomme.

Il tourna son visage vers elle, la contemplant plusieurs secondes. Puis il reporta son attention sur le feu en soupirant.

- Je ne sais pas grand chose. Mais, c'est vrai, je savais qu'il y en avait d'autres.
- Pourquoi ne rien avoir dit ? soufflais-je.
- J'ai songé... il marqua une pause avant de reprendre, j'ai songé qu'il était inutile de plus vous inquiéter.

Xynn leva les yeux au ciel, agacée.

- Mais tu crois quoi Gadeon ? Qu'on est des gamines ?

Je ne pouvais pas vraiment lui donner tort. Mais Gadeon sembla blessé. Je choisis de croire qu'il n'avait pas pensé à mal à la vue de son expression déconfite sur lesquelles se reflétaient les lumières chatoyantes du feu. Était-ce une confiance aveugle ? Un désir qu'il ne me déçoive pas alors que j'avais choisi de continuer la route à ses côté ? Ou avais-je raison ? Je le connaissais encore peu, l'idée qu'il pouvait très bien jouer un rôle en notre présence me traversa l'esprit. Pouvais-je seulement être convaincue que ses intentions étaient bonnes ?

- Daedwyg et Xynn ont raison. Tu ferais mieux de partager avec nous ce genre d'informations cruciales... Explique-nous.

Gadeon me sourit faiblement avant de reporter son attention sur la cuisson des baies. Puis il se repositionna plus ou moins confortablement dans le creux avant d'enfin s'exprimer :

- Bon. Avant de vous rencontrer, et comme je vous l'ai déjà dit, j'avais un petit groupe de compagnons de voyage. On était nomades, pas vraiment établis. En fait... Il marqua un temps d'hésitation, En fait, on bougeait sans cesse parce qu'on avait peur. Enfin, surtout les autres. Je n'ai pas connu cette époque, mais ils étaient sédentaires avant. Et un jour, il se sont fait attaquer. Je n'ai jamais eu trop d'informations là dessus... Quand je leur parlais, la plupart évinçaient le sujet. De mes déductions j'ai compris que la scène avait été particulièrement violente et sanglante.

Le grand Racine soupira. Avec précaution, il retira les baies du feu à l'aide des branches qu'il avait précédemment utilisé. Une légère odeur de brûlé s'en échappa. Il alla déposer le pot dans la neige le temps qu'il refroidisse un peu. Avant de s’assoir à nouveau à nos côté, il sembla hésiter. Il me sembla que le regard dur de Xynn parvins à le convaincre.

- Un jour j'ai réussi à parler un peu à l'un d'entre eux. Tout ce qu'il a pu me dire, c'est que beaucoup avaient perdu la vie. Cinq ou six, je crois. Il m'a parlé de deux créatures noires, colossales, surpuissantes, sorties tout droit du lac. Elles ont tout ravagé. Je ne sais pas comment les survivants s'en sont sortis. A vrai dire, je ne sais rien de plus.

Mon cœur se serra. Le visage de Xynn s'était décomposé. Je cru qu'elle voulait dire quelque chose, mais elle resta sans voix. Le sang battait dans mes tempes d'une violence insoupçonnée. Et je ne pu rien prononcer de plus.

***

J'écoutais l'histoire de Gaedon en silence. Quand il l'eut finit personne ne reprit la parole et les bruits de la nuits retrouvèrent leur emprise sur nos sens. La description de la créature qui avait attaqué le groupe du Racine ne correspondait à rien que j'avais pu voir. Peut-être étais-ce la même  qui avait attaqué la grotte des Oubliés.

- Est-ce qu'elles rampaient ? Ces créatures dont on t'a parlé ?

Gadeon ne me répondit pas tout de suite. Il souleva précautionneusement le pot qui désormais avait retrouvé une température raisonnable et, après un instant d'hésitation, plongea la main dedans pour y saisir une poignée de baies cuites et gluantes qu'il porta à sa bouche. Au vu de sa grimace, je devinais que le contenu du pot devait encore être relativement chaud, mais ils devaient tous être affamés. Le racine m'invita à me servir mais je secouais la tête et Xynn s'empara du récipient sans attendre davantage. Gadeon la regarda avec un sourire avant de reprendre la parole.

- Je n'en suis pas sûr... je ne crois pas. Elles était extrêmement rapides y compris sur la terre ferme.

Il s'agissait donc encore d'un autre type de monstruosité. Mais peut-être était-il idiot de les dissocier par leur forme. Après tout, elles disposaient toutes d'attributs très similaires, et les plus grosses d'entre elles ne pouvaient être que des individus ayant subi des mutations quelconques dont la cause était encore à déterminer. Je me fis la réflexion que, jusqu'alors, je n'avais jamais tenté d'établir de lien entre les monstres et la vallée, de chercher le lien qui les liait à l'écosystème ou ils se trouvaient au même titre que nous. Il était évident que leur présence ici n'était pas la cause d'une évolution naturelle. Mais, tout comme les humains qu'ils pourchassaient, ils ne se trouvaient pas ici par hasard.

Je fus tirée de mes pensée par Gadeon qui, après que tout le monde se fut servi, me tendait à nouveau le pot de terre avec insistance. Il ne contenait presque plus rien et, face aux regards d'excuse de mes compagnons de repas, je leur sourit en haussant les épaules.

- Ne vous en faites pas, mon dernier repas est certainement plus récent que le vôtre.

Je raclais avec application les restes caramélisés des baies tout en leur faisant part de mes dernières réflexions sur les monstruosités. J'essayais autant que faire ce peu de rendre intelligible mon chemin de pensée erratique ce qui ne m'empêcha pas de déceler une certaine perplexité dans les yeux de ceux qui m'écoutaient. Je me hâtais de conclure.

- … toujours est-il que je pense que notre seul espoir de survie au sein de cette vallée reste de s'organiser, en tant qu'espèce coincée dans un environnement fortement hostile. Et, je... c'est aussi pour ça que je n'ai pas voulu heu, vous laisser seuls, dans la nuit.