[o] J28 - COMMUN - DAEDWYG - Jours sans malheurs



JOUR 26 - XYNN - ÉCHOUÉE - Son corps sombre a percé l'eau, et elle s'est extirpée avec difficulté des profondeurs amères du lac. Elle a toussoté un moment alors que je ne disais rien. Elle s'est méfiée de moi, je crois. A-t-on choisi de poursuivre notre route ensemble ? Ou le destin l'a-t-il fait pour nous ? Pour être honnête, je ne l'ai jamais vraiment su. Si son instinct et ses pulsions me bousculent, pour dire vrai, je crois que je les redoute. Mais elle m'impressionne, parfois. Je tiens à elle, je crois.

JOUR 28 - GADEON - RACINE - En sortant des sordides serpents de terre il aurait pu m'effrayer. Ses bras pourraient me briser d'un simple geste. Il aurait pu me jeter loin au fond du lac. M'enterrer sous le sol comme une graine ou un corps sans vie. Me faire rentrer dans la roche, me fossiliser. Mais il s'est excusé. C'est drôle, mais je crois qu'on peut lui faire confiance.



JOUR 25 - ÉVEIL - Le froid qui emprisonne la peau est l'une des sensations les plus vivifiantes au monde. Le froid insuffle la vie, il hurle, il oblige au mouvement. Tu bouges ou tu crèves, c'est simple. Je crois que c'est pour cela que mes yeux se sont ouverts et que j'ai découvert la vallée. Avant cela, rien n'a de sens, de goût, d'odeur. Après, c'est un surplus, de tout, de trop. Jour 1 et je manque d'imploser sous la poursuite enragée des guetteurs affamés. Les crocs, les lames, la vision déformée de leurs visages blanchâtres et de leur corps en dévotion. Si je tombe, si tout devient flou, si tout disparaît, si ils disparaissent, où sont seulement les illusions ? J'ai échappé aux déchiquetage en règle, par un miracle que je ne peux pas expliquer, mais rien n'est sûr. Je ne sais pas vraiment si tout est réel.

JOUR 26 - PROFONDEURS - J'ai fait la rencontre de Xynn et ses yeux sauvages entre deux stupeurs et deux hoquets. Aussi détrempée et sombre qu'elle m'a alors parut, c'est elle qui a allumé quelques flammes salvatrices. J'ai découvert la sensation de ne plus trembler sous l'épaisse menace de la faim, quelques instants, quelques heures peut-être. Mes yeux se sont fermés devant la violence réconfortante et rougeoyante du feu de bois.

JOUR 27 - SANG - La nuit ne sera jamais si noire que l'angoisse pesante de la mort. Et le feu ne sera jamais si violent que les coups répétés des dagues au bord de mes oreilles. Les pieds qui cognent contre le sol, les corps qui s'effondrent sur la terre humide, le tintement menaçant des lames brillantes, les cris grinçant de ceux qui basculent. Je n'aurais jamais pu croire qu'un hurlement dans la nuit puisse être aussi doux et étouffant à la fois. Mais celui que Xynn a poussé cette nuit là, annonçant, acide, la mort d'un homme, repoussant, provocante, le deuxième, restera longtemps logé quelque part entre deux tympans de ma tête. Mes premières larmes se sont mêlées au rouge profond et poisseux du sang. Peut-être que j'ai compris quelque chose de plus ce soir là. Rien ne sera facile, jamais.

Marcher dans la brume, ressentir le mordant sauvage du froid, voir les torches s'éteindre à l'instar de nos espoirs, s'endormir dans les bras sales des serpents de terre. Jamais vraiment seules, jamais vraiment sûres, jamais vraiment calmes. J'ai fait une croix sur la tranquillité délicate et les sommeils lourds. Mais la plus grande chaleur connue à ce jour provient, sans hésitations aucunes, de la peau et du sourire des partenaires de voyage.

JOUR 28 - TERRE - Que doit-on penser d'un homme qui se détache des mères racines à son éveil, comme une graine rebelle qui aurait choisi la liberté dangereuse de l'animal en mouvement devant la placide assurance du chêne centenaire ? Il est sorti des chemins de terre, réveillant nos deux âmes endormies. Il ne nous a pas brisées, détachant un à un nos morceaux, ou écrasées, d'un bref coup du haut de sa posture immense. Si maintenant nous sommes trois, puis-je croire en quelque chose ou ne dois-je attendre de la part de ce monde qu'une machinerie lourde et silencieuse ? Gadeon a un grand sourire réconfortant. Je crois que cette lumière est plus puissante que la flamme tremblante des torches.